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vendredi 21 mars 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : THE CHAMBERLAIN - DRACONIAN MAGICK (2025)


À un rythme soutenu, et alors que sa cote de popularité semble toujours au beau fixe, le metal symphonique poursuit tranquillement sa route dans l'industrie musicale, porté par l'expérience de groupes vétérans de la scène et suscitant des vocations chez les plus jeunes. Présent depuis longtemps dans la frange extrême du genre, il s'est notamment émancipé et forgé une identité à part entière au sein de la scène black metal en étant initié par Emperor, Dimmu Borgir et Limbonic Art dans la Norvège du milieu des années 90. C'est du pays voisin, la Finlande, de Turku précisément, qu'est apparu en 2023 The Chamberlain, une nouvelle formation montée par des membres de Norrhem, Aesthus, Malum et Infernarium, des groupes de black metal radicaux à la solide expérience appartenant à la scène underground finnoise. De la radicalité, il en est moins question ici même si, l'année de sa fondation, le quatuor avait fait paraître une démo, Dominus Noctis, très axé vers un black metal satanique dans lequel les mélodies étaient déjà présentes.

Sur Draconian Magick, opus inaugural paraissant sur le label Out of the Dungeon, les finlandais reprennent les choses là où ils les avaient arrêtées il y a environ deux ans, l'album se proposant d'être une sorte de voyage immersif dans l'univers de la dark fantasy, ce sous-genre de la fantasy décrivant des ambiances sombres où le mal prend le pas sur le bien, dans des dimensions proches de l'horreur. The Chamberlain exécute son œuvre à la manière d'un peintre méticuleux faisant attention aux moindres détails. Après une ouverture instrumentale à caractère mystérieux, lugubre et cinématique, aux accents mystiques, le groupe nous fait tout de suite entrer dans le vif du sujet avec Empyreal Legions, morceau épique par excellence, symphonique dans son approche, laissant la part belle aux claviers, tandis que Magister Lucifugus, le vocaliste, se met à déclamer les premières strophes à la façon du Ihsahn des plus grandes heures d'Emperor. S'ensuit un Wings of Leather grandiose dont les imparables et impériales mélodies, d'une amplitude très aérienne, révèlent des atours mélancoliques et ensorcelants qui en font à n'en pas douter le morceau le plus abouti de cet opus. Sur des titres plus longs, comme l'éponyme Draconian Magick, d'une durée de près de neuf minutes, le groupe laisse libre cours à une inspiration virevoltante lui ouvrant les voies d'un black metal plus haineux et plus brutal ne se dépareillant pas pour autant de ses irrésistibles symphonies et sans soute plus inspiré de Vargrav ou de Carach Angren. Puis, avant que le coup de grâce ne soit porté dans le grand final de Enter the Pandemonium, morceau homérique aux imposantes structures, le combo scandinave se permet un petit coup d'audace en délivrant sur On the Path of Reckoning des passages majestueux, plus lents, lorgnant vers un power heavy metal de la vieille école que l'on devine aussi dans certaines sections de Rise of the Chamberlain, même si le black metal symphonique finit toujours par reprendre le dessus, cela va de soit.

Si The Chamberlain ne réinvente rien sur Draconian Magick, le groupe a cet immense mérite, par son indéniable créativité, à demeurer fidèle à l'esprit du black épique des années 90 en n'essayant pas d'en faire plus qu'il n'en faut afin de ne pas dénaturer le genre et d'en préserver toute la saveur originelle. La réussite est au rendez-vous sur ce premier chapitre dont on espère une suite tout aussi réjouissante.

jeudi 20 mars 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : NOIRSUAIRE - THE WRATH OF THE SILENT TEMPLES (2025)


Ainsi donc, la bête respirait encore sous les cendres. Brièvement inscrite à l'article de la mort, on la vit réapparaître dans les bois sombres bordant Montségur, sous la forme d'un ermite vêtu d'un châle couleur de suie, errant parmi les arbres que l'hiver avait figés. Durant les nuits glaciales, dans les ténèbres silencieuses comme des tombes, l'on pouvait entendre, en tendant bien l'oreille, les bruit sourd de ses pas dans la neige fraîche, auquel se mêlait parfois le hululement lointain d'un hibou guettant sa proie. La nouvelle parcourut villages et hameaux, portée par un vent piquant qui venait du nord : Noirsuaire était de retour.

Nouveau chapitre que la nuit elle-même semble avoir écrit sous la clarté languissante d'un croissant de lune accroché entre deux nuages, The Wrath of the Silent Temples est la signature d'un maître divulguant les secrets que cache l'obscurité. Dans les monts brumeux que l'hiver recouvre de son linceul ou dans les ruines des châteaux des vénérables ancêtres, statues de pierre pétrifiées par le temps, Noirsuaire distille son poison vampirique en invoquant les esprits des dimensions maléfiques. Tel un guerrier revenu d'entre les morts, il rassemble son armée des ombres en poussant un cri de ralliement fielleux et primitif. Adepte d'un art noir suintant des profondeurs de la terre, il en exploite les rouages complexes, en étudie les formules, dont le commun des mortels ne soupçonnerait pas l'existence, pour arriver à un résultat que bien peu réussirent à atteindre : faire naître l'excellence dans le chaos. Aidé de ses précieux acolytes, l'artiste possède l'expérience nécessaire afin de prolonger la nuit. Au son d'un black metal respirant la sincérité et ancré dans ses racines ancestrales, il sonne la charge sur The Scourge from Kisiljevo, remuant en nous les souvenirs vivaces que nous avions de lui sur ses précédents efforts, de Possessed by a Malignant Lust à By the Screams of Porphyric Seraphs en passant par Black Flame of Unholy Tradition. Les rythmiques guerrières, puissantes et vindicatives sont son apanage, à l'image du morceau qui a donné son titre à ce EP, tandis que quelque part entre radicalité et mélancolie, la créativité prend des atours plus mystiques, plus mélodiques que To Roam Among the Darkest Hounds restitue parfaitement durant six minutes d'une qualité lyrique exceptionnelle tutoyant les sommets enneigés de la chaîne pyrénéenne, quand ce n'est pas le son nostalgique et rêveur d'une orgue qui nous prend aux tripes sans crier gare.

Noirsuaire est revenu, et avec lui les vestiges d'un monde qu'on croyait effacé à tout jamais par l'usure du temps. Tendez bien l'oreille et vous entendrez peut-être le prince des ténèbres regagner sa demeure après une nuit de fureur et de sang.

mercredi 19 mars 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : FORCE OF DARKNESS - TWILIGHT OF DARK ILLUMINATION (2021)


Les présentations sont-elles vraiment nécessaires ? Voilà vingt-quatre ans que Force of Darkness hante les couloirs sombres de l'underground, à proférer ses psaumes sataniques, soit plus de deux décennies sans donner le moindre signe de faiblesse et demeurant fidèle au death thrash teinté de black metal qui a toujours fait sa réputation. Évoquer Force of Darkness, c'est un peu comme pénétrer dans un temple. On y entre avec le respect qui s'impose, sans faire de vagues, et l'on se recueille, sauf qu'ici bien sûr, la certitude d'en sortir indemne s'avère très faible. Il faut dire que le groupe de Santiago du Chili, de par sa longue expérience, connaît la musique. Biberonné à la subversive scène sud-américaine de la fin des années 80 et du début des années 90, celle de Sarcofago, Vulcano, Mystifier, Mutilator, et j'en passe, le combo latino s'est toujours efforcé, avec passion, de brandir haut l'étendard du death thrash de la vieille école sans jamais dévier de sa trajectoire initiale. Ainsi dès son premier album éponyme paru en décembre 2006, le trio s'engageait dans une voie qui allait construire sa réputation de trublion. Puis, quatre ans plus tard, sur Darkness Revelation, il maintenait la cadence, bien que dans une veine plus sombre et plus occulte. Il faudra ensuite attendre onze ans pour que Twilight of Dark Illumination complète la saga, avec toujours cette inébranlable volonté de faire dans le blackened death thrash le plus vil et le plus malfaisant qui soit.

Dès le premières notes de Retribution of the Crowned Chaos, les hostilités sont lancées. Sur un rythme furieux et effréné, les chiliens sortent l'artillerie lourde en ne se privant pas de convier Deströyer 666, Sodom et Mefisto à la table des festivités, tandis que ce diable de Seb Armageddon impose sa poigne sur le premier solo de guitare envoyé. Un rythme d'enfer est ensuite maintenu sur Absolute Verb of Chaos and Darkness avant que les riffs monstrueux n'emportent tout sur leur passage à l'écoute de Sons of Hipocrisy, joyau de cet opus porté par un nouveau solo de guitare à vous dresser les poils. C'est sur ce type de compositions ultra rapides et extrêmement agressives que le talent naturel de Force of Darkness s'exprime le mieux, le combo parvenant à trouver beaucoup d'amplitude en mélangeant avec habileté la furie du thrash metal old school à l'insolence crasse du vieux black metal des années 80 auquel s'ajoute le côté plus sombre et plus malveillant du death. En toute logique, la rhétorique guerrière prend facilement le dessus dans certaines sections. On la retrouve ainsi livrée de la façon la plus primale sur Athame's Wrath, hymne war metal à part entière qui vous donnerait presque une envie d'en découdre. Il n'y a pas à rechigner, les chiliens savent varier les plaisirs. Au blackened death savamment dosé de Genesis of Evil succède le thrash sans concession de Metempsychosis et son chorus jouissif. Arrive ensuite la basse très lourde de Choronzon's Desire, plage lugubre et plus expérimentale, montée sur un rythme étonnamment lent, avant que le rouleau-compresseur ne reprenne sa marche sur le puissant Templi Serpens, très axé sur du black metal de la première génération. Enfin, il fallait bien un dernier coup d'audace pour refermer le chapitre avec Darkness Shall Prevail, longue conclusion de près de huit minutes, véritable brassage d'influences montrant sans doute l'aspect le plus créatif de ce groupe hors du commun qu'est Force of Darkness. Espérons qu'il ne faudra pas attendre dix années de plus pour un prochain album.

mardi 18 mars 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : HIBERNUS MORTIS - THE MONOLITHS OF CURSED SLUMBER (2022)


Vous avez certainement déjà connu à maintes reprises ce moment précis où, juste avant d'écouter un album de death metal, vous vous dites que vous allez pénétrer en territoire hostile rien qu'en voyant la pochette. Ce sentiment m'a littéralement pris aux tripes avec Hibernus Mortis lorsque j'ai découvert l'artwork de The Monoliths of Cursed Slumber pour la première fois. Je me suis tout de suite dit que je n'allais pas être ménagé en écoutant ce deuxième opus des américains et cela s'est vérifié de manière implacable. Une fois passée l'introduction instrumentale glaçante et que résonnent les premiers accords de Endless Dawns of Somnanbulant Exorcisms, votre destin est scellé et vous savez que vous allez être soumis à rude épreuve tandis que Cesar Placeres, le vocaliste et batteur de la formation entonne d'une voix caverneuse et sinistre le premier couplet : Starless Skies / In the Night Above / Obscene Nightfalls / In my darkest hour. Des riffs râblés, épais et massifs s'abattent lourdement, tels des mastodontes sur nos frêles épaules et le monde, soudainement, devient froid.

Vingt ans. C'est le temps qu'il a fallu attendre pour voir cet album arriver. Alors que tout espoir semblait perdu, le successeur de The Existing Realms of Perpetual Sorrow, paru discrètement en 2001 en cinquante copies CD, surgissait des limbes sous l'égide du label Blood Harvest. Le terme "discrètement" n'est ici pas galvaudé étant donné que c'est l'adjectif qui convient le mieux à ce groupe fondé en 1996 à Hialeah, commune de l'agglomération de Miami. En effet, au cours de ses dix premières années d'existence, avant qu'il ne se sépare en 2006, Hibernus Mortis fit paraître une démo, Into the Thresholds of Dead Winter, en 1998 puis, le premier opus évoqué plus haut. Cesar Placeres était alors uniquement batteur tandis que le chant était assuré par Ralf Varela. Quatre ans après le split, le groupe se reconstitua mais, ne sortit absolument rien avant The Monoliths of Cursed Slumber. Durant cette période d'atermoiement, le lineup évolue. Yasser Morales réintègre le groupe en 2015 à la basse alors que Randy Piro, passé par Hate Eternal et Kult ov Azazel, en devient le guitariste. C'est avec cet effectif qu'est finalement conçu en 2022 ce second opus à l'interminable gestation.

The Monoliths of Cursed Slumber s'articule sur neuf morceaux d'une noirceur vertigineuse. Pour en saisir toutes les nuances, il faut essayer de se mettre dans la peau d'un personnage arpentant des terres de désolation et cherchant son chemin dans le néant. Pouvant à la fois se rapprocher stylistiquement d'Incantation et d'un death tourmenté à la finlandaise, Hibernus Mortis est une machine techniquement redoutable dans l'exécution, aussi à l'aise sur des rythmiques lentes que soutenues. le quatuor parvient avec une certaine habileté à varier les cadences en s'appuyant sur une production solide et des structures exigeantes qui forcent le respect. Certains morceaux laissent ainsi une impression écrasante et malsaine, à l'image de Vomitus Imperium ou Ascending the Catacombs, tandis que sur d'autres, comme Invocations of Never et To Drink the Blood of the Black Sleep, la noirceur prend une apparence plus occulte, teintée de mystère, mais néanmoins toujours ancrée dans une forme de désespoir agissant comme un cercle vicieux. D'une efficacité à toute épreuve, la section rythmique investit l'espace en prenant une envergure exceptionnelle jusqu'à la conclusion sur laquelle le groupe nous gratifie d'un long passage atmosphérique aux accents horrifiques précédant une chute ultime dans les tréfonds de l'enfer. Le rideau n'a alors plus qu'à se refermer sur un monde décharné que rien ne peut sauver de sa macabre fin.

jeudi 27 février 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : DUELLISTE - DUELLISTE (2025)


Encapuchonné dans sa longue chape noire traînant comme un vêtement de mort, Duelliste erre depuis 2023 sur les champs de batailles que l'hiver glacial semble avoir figés dans le temps, vestiges d'un passé dont les braises subsistent sous les neiges éternelles. Disciple d'un art noir dont il avait tracé les contours sur deux démos révélatrices d'un indéniable talent, l'homme s'était réfugié dans la forêt pétrifiée pour y concevoir le nouveau chapitre de son livre à l'atmosphère mystique. Il ressort aujourd'hui de ce travail d'orfèvre un premier opus éponyme que les frimas de l'hiver recouvrent d'un givre tenace et piquant comme la pointe d'une épée.

Une épée que Carcasse Enchaînée, l'âme damnée derrière le projet, n'est pas décidé à lâcher et c'est tant mieux. Lorsque les premiers accords de Traces figées retentissent dans le brouillard, c'est toute la radicalité d'un black metal sincère et organique qui s'exprime dans toute sa plénitude. Par la violence de la guerre, un enfer apparaît // Dans l'aurore du matin rosé, les silhouettes // De cadavres rappellent le funeste butin sacrifié // À travers les chaumes et les fermes misérables, s'exclame le ménestrel de sa voix sinistre. L'on entendrait presque, au loin, le bruit des épées dont les lames s'entrechoquent au cœur de la mêlée, l'image nous renvoyant aussi à des événements hélas plus contemporains au vu de l'actualité géopolitique du moment.

Le black metal de Duelliste se veut guerrier dans l'absolu, extrême dans sa conception et glacial dans son ambiance. Cette imagerie se déploie et se démultiplie selon des variantes que le musicien maîtrise avec une certaine dextérité (comme il sait manier l'épée) sur des morceaux viscéraux que le froid fige comme des statues, tels que L'âme guerrière ou Lame vengeresse. Cependant, et c'est sans doute l'un des autres points forts de cet album que l'on écoute comme si l'on lisait un livre, l'artiste, dans sa radicalité et dans sa froideur, sait se faire poète. Au son de claviers majestueux et mélancoliques, il déclame des psaumes dont la beauté est transcendée dans la brise hivernale. D'un sol qui devient la voûte du passé muet // Où les fantômes voguent aux étoiles noires // Aux soleils morts qui renient leurs défaites // Oublient le temps qui a figé la fleur salvatrice, dit à haute voix le promeneur solitaire. C'est dans ces moments-là, ou dans d'autres comme Hauteurs crépusculaires ou Tenture de mort, que s'expriment des mélodies élégiaques que le vent du nord saupoudre sur les terres désolées des souvenirs perdus. L'hiver est loin d'être terminé, qu'on se le dise.

mercredi 19 février 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : LUCIFERIAN - SUPREME INFERNAL LEGIONS (2006)


Durant mes (pas si lointaines) années de jeunesse où je ne jurais que par les incantations blasphématoires du metal noir, juste après avoir pris en pleine poire la seconde vague de black metal en provenance de Norvège (dont je ressens toujours les effets aujourd'hui, c'est vous dire), je me suis mis à approfondir mes connaissances dans ce domaine tel un jeune sorcier passant ses journées entières dans les couloirs lugubres et poussiéreux de la bibliothèque de Poudlard. C'est durant ces années d'étude de l'art noir que j'ai découvert que le black metal pouvait en fait se décliner à toutes les sauces. Radical, mélodique, symphonique, ambient, atmosphérique, tantôt mélangé avec du death metal, du thrash, du doom ou du rock, le black m'attirait et me désemparait en même temps, au point qu'un jour, je me suis posé cette question qui m'est venue tardivement à l'esprit : comment le black metal doit-il être écouté ? J'imagine que cela est avant tout une question de feeling car, après tout, la musique, sous toutes ses formes, n'est-elle pas avant tout source d'émotion. Néanmoins, en prenant le recul nécessaire, c'est-à-dire en réécoutant attentivement le black metal des débuts, aussi bien celui de la première vague que celui de la deuxième, je me demande finalement si la réponse à cette question ne se trouve pas parmi ces formations d'antan qui ont forgé ce que sont les fondations mêmes du genre. Prenez n'importe quel groupe de black metal du débuts des années 90, ou même ceux des années 80, vous verrez qu'à de très rares exceptions, toutes ces formations ont pour point commun une radicalité des plus extrêmes.

En 2006, Luciferian appliquait cette leçon à la lettre sur son premier album, Supreme Infernal Legions. Formé par le musicien Héctor Carmona en 1996 sur les cendres d'Ominous Sacrifice, le groupe demeura longtemps dans les dédales obscurs de l'underground avant de sortir du bois tel un loup affamé hurlant au clair de lune. Luciferian ne s'embarrassait pas de fioritures sur cet opus inaugural. Tant qu'à faire du black metal bestial et extrême, autant y aller franchement en laissant de côté le superflu. Du blastbeat, en veux-tu, en voilà, avec la guitare en mode scie sauteuse qui va bien et les vocaux démoniaques filant même des frissons d'angoisse à tous les suppôts de Satan. Les légions infernales se mettent en ordre de marche sur les refrains guerriers de The Rising Darkness et Eternal Fire, les créatures le plus viles des cercles inférieurs aiguisent leurs griffes sur Vision of Black Dimensions et Satan's Retaliation, tandis qu'une lune glaciale éclaire de sa lumière blafarde les champs de batailles jonchés de cadavres sur le pestilentiel Triumphant Existence of the Eternity.

Je fais ici un descriptif volontairement imagé justement pour montrer ce que cet album peut faire naître comme sentiment une fois l'écoute lancée. Vous aurez bien entendu compris que, d'un point de vue purement musical, c'est toute la radicalité du black metal old school qui s'exprime pleinement sur ce disque rageur avec, évidemment, ce petit côté cradingue et malsain qui fait la particularité de l'école sud-américaine, Luciferian étant originaire de Colombie, Armenia pour être précis, ville située entre Cali et Medellin. En conclusion, si le black metal sous son aspect  le plus brut, le plus cru, est le seul à trouver grâce à vos yeux, et si par la même occasion vous ne craignez pas de vous faire ramoner les conduits auditifs en profondeur, Supreme Infernal Legions ne peut se situer que dans votre créneau.

dimanche 16 février 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : TYRANNI - DRÄNKT AV LIVETS SEKRET (2024)


Le bruit de la pluie qui tombe, le tonnerre qui gronde, le son lointain d'un clocher qui retentit puis, la plainte lugubre d'une orgue dans la nuit. Ainsi débute Dränkt av Livets Sekret, par l'instrumental Dunklets Öppning. Dès les premiers arpèges, Tyranni nous met dans l'ambiance, caché parmi les ombres tutélaires des grands arbres des forêts nordiques. Derrière ce nom officient deux âmes tourmentées, celles de Svartpest et Likaska, têtes pensantes de l'entité malfaisante Bekëth Nexëhmü, le premier étant également membre à part entière d'autres formations reconnues de la scène black metal scandinave comme Gnipahalan, Greve, Mystik ou Trolldom (j'en oublie). Nous avons par conséquent affaire à des artistes d'expérience, adeptes du metal noir depuis un certain temps. D'ailleurs, en plus de mener sa barque avec tous ces groupes, Svartpest s'occupe lui-même d'un label, Ancient Records, qu'il a fondé en 2010, et de sa sous-division Mysticism Productions via laquelle est paru cet opus en octobre de l'année dernière.

Avec Tyranni, tout est une question d'ambiance. Bâti la plupart du temps sur un rythme mid-tempo, le black metal des suédois s'attache à demeurer dans une veine très ambient, typiquement nordique aussi bien dans son approche que dans sa structure générale. Sur de longues compositions souvent supérieures à sept minutes, le combo arpente monts et forêts par des versants ténébreux avec un rendu quasi cinématique qui produirait incontestablement son petit effet dans un film de vampires. Ett Liv i Ruin... vous glace d'effroi dès les premières notes, suivi d'un Bortom Bortglömda Skogar dont le clavier spectral fait songer à un chœur de moines inquiétant et sinistre. L'obscurité se fait ensuite plus prégnante sur Vargama ar Samlade, morceau au tempo un peu plus rapide, avant que l'instrumental Gravens Boning ne nous entraîne dans les ruines poisseuses d'un château délabré avec son orgue cafardeuse invoquant Nosferatu. 

Tyranni sait parfaitement se mouvoir dans ce type d'ambiance aussi morne que sépulcrale. Ainsi, le funèbre Underganges Liklykta révèle des atours oppressants et glauques dans ses harmonies avant que son suivant, Vid Ättestupans Kall, ne dévoile un côté plus symphonique dans sa construction, grâce à un clavier encore mis en avant et un chant aux intonations parfois plus claires, délivré comme un psaume, révélant au passage la part plus aventureuse que possède le groupe. Enfin, un dernier morceau instrumental (celui qui a donné son titre à l'album), plus mélancolique, vient refermer ce chapitre vampirique, comme l'on refermerait un vieux grimoire rempli de malfaisance. Tyranni agite avec une certaine habileté les esprits de la nuit sur ce très bon album de black metal ambient, réveillant la créature lycanthrope qui sommeille au plus profond de nos âmes égarées.

jeudi 13 février 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : PHANTOM - SCRIPTUM THELEMA (2020)


Phantom est dans une situation inconfortable. Après le départ l'année dernière du guitariste Bastian Ilabaca et du batteur Hugo Galarce, le chanteur Branco Bustamante se retrouve désormais seul, à la recherche d'une nouvelle section rythmique. Dommage de voir le groupe chilien en difficulté après les œuvres de qualité qu'il a conçues, notamment l'album Scriptum Thelema, dont il va être question ici.

Phantom fut fondé en 2017 à Quilpé, dans la région de Valparaiso. Une démo parue en 2018 puis, un EP en juin 2020, ont suffi au groupe pour se faire une place sur le grand échiquier du metal extrême sud-américain dont la trempe n'est plus à prouver depuis longtemps, de même que les spécificités. Sincérité de l'approche, brutalité de la conception, vieille école dans les structures, morbidité de l'atmosphère, sans oublier le côté malsain que dégage l'ensemble, ce sont là les signes distinctifs du death metal d'Amérique du Sud et, croyez-moi, on retrouve ces distinctions sur cet album, le seul à ce jour révélé par la formation chilienne. Porté par un imposant chant guttural et une base rythmique dégageant une certaine carrure, Scriptum Thelema possède l'attrait principal d'un ouvrage typiquement old school et respectant avec fidélité les codes anciens du death metal. Mais attention, cela ne veut pas dire pour autant qu'il est une copie conforme de bien des albums du même acabit. Il y a en effet de l'harmonie dans cette obscurité ambiante et une réelle volonté de se distinguer des autres. Des harmonies dont l'ampleur se libère pleinement sur Frozen by Negative Thoughts et à l'intérieur desquelles s'amplifient de sublimes solos de guitares à vous coller des frissons, un morceau comme Thelema en étant un remarquable aperçu grandeur nature.

Si le death metal de la vieille école occupe logiquement une place prépondérante sur ce disque, se permettant même de puiser profondément dans ses racines, comme sur Twisting the Cage, dont l'aspect assez thrash s'avère vivifiant et efficace, Phantom possède également le caractère nécessaire pour s'aventurer vers d'autres terres. Cette capacité à voir plus loin crée une envergure permettant au combo de s'épanouir dans un registre plus blackened death sur des morceaux plus ambitieux mais, tout aussi harmonieux, que ...To the Eternal Abyss of Hate (un des singles les plus sombres de l'album) ou Visions of Phantoms. Décidément, Phantom a tout ce qu'il faut pour exécuter avec justesse un death metal vertueux et habité n'ayant aucune peine à s'extirper du lot. Espérons que le groupe se sortira de la mauvaise passe qu'il traverse en ce moment.

mardi 4 février 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : DIES IRAE - NINE PAGES FROM THE MOONSTONE BOOK (1995)


Les groupes de death metal n'étaient pas légions dans les pays baltes au cours des années 90, c'est le moins qu'on puisse dire, même si une petite scène non dénuée d'intérêt se développa en Lettonie, en particulier à Riga, avec Huskvarn, par exemple, un des précurseurs (revenu de l'au-delà l'année dernière après neuf ans d'inactivité), Sanctimony et Neglected Fields (ces derniers étant plutôt ancrés dans un death progressif assez technique). Parmi ces quelques formations, on retrouvait Dies Irae, sextet formé en 1992 sur les cendres de Giljotina et qui avait la particularité de posséder dans ses rangs une femme dont le chant clair au rendu opératique servait de backing vocals. Ne vous méprenez pas, Dies Irae n'avait rien d'un groupe de metal symphonique. Il était un vrai groupe de death metal qui ne caressait pas dans le sens du poil, si vous voyez ce que je veux dire. On peut même aller jusqu'à affirmer qu'il était assez brutal dans sa manière de concevoir le death metal. Cependant, cette brutalité pouvait être contenue dans une sorte de moule à l'intérieur duquel le groupe de Riga était capable de développer une créativité tous azimuts, pas si éloignée d'une sommité telle que Death (il faut dire que le seul album de Dies Irae est paru la même année que Symbolic, un des ouvrages le plus techniques et progressifs de la célèbre formation d'Altamonte Springs).

C'est donc en 1995 que paraît chez le très confidentiel label letton Metal Attack Records cette œuvre étrange qu'est Nine Pages from the Moonstone Book (un hommage au roman La Pierre de lune de Wilkie Collins ?). Étrange car, tout sur cet album semblait mis en œuvre pour dérouter l'auditeur. De prime abord pourtant, l'aspect rugueux de l'opus n'a rien de déroutant. Le chant guttural peut s'avérer assez terrifiant dans la majorité des sections, soutenu par des guitares agissant comme des cisailles, dissonantes par intermittence, et qu'accompagne une batterie de métronome. L'ensemble peut éventuellement évoquer la scène radicale du death scandinave de la fin des années 80 à laquelle s'ajouterait peut-être diverses influences émanant de la scène proto-death américaine, en particulier celle de Floride, influences que l'on retrouve particulièrement sur un morceau comme Make my Grave Clean from the Cross, que l'on peut aisément considérer comme étant le plus brutal de cet album.

Mais, et c'est là que réside la surprise du chef, Dies Irae ne manque pas de montrer qu'il a plusieurs cordes à son arc. Ainsi, dès le premier morceau, Amberclouds Inigmations, le groupe nous embarque dans une expérience pouvant presque tenir lieu d'une certaine transcendance en multipliant les éléments techniques. De surprenantes harmonies discontinues que viennent volontairement casser des changements de rythme s'ajoutent à la structure tandis que la voix claire du chant féminin secondaire se fait entendre pour la première fois. Cette volonté d'enjoliver les compositions de manière assez sophistiquée (notamment dans les solos de guitare) se confirme ensuite sur Word Create Hate (1236 "Battle of the Sun") et Evolsactuo (The Pagan's Chapter). Au fil de l'écoute, les structures se complexifient, deviennent labyrinthiques, parfois même plus expérimentales, avant de s'agencer presque naturellement comme si le groupe nous invitait à résoudre un puzzle. Le death pratiqué par Dies Irae prend un tour résolument plus progressif sur l'intense et obscur Drowned in the Cobweb avant que le vertigineux Nectar of Black Flowers ne clôture le chapitre en atteignant un sommet de technicité savamment élaboré que vient agrémenter un chant féminin aux allures de soprano.

L'année qui suit la sortie de cet opus, Dies Irae disparaît à jamais dans les limbes, nous laissant comme seul témoignage ce remarquable objet qui bénéficia en 2023 d'une réédition avec deux morceaux supplémentaires, sous l'impulsion de deux des membres du groupe. C'est là tout ce qu'il reste à ce jour du travail d'orfèvre produit par cette étonnante et énigmatique formation.


lundi 3 février 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : VORACIOUS CONTEMPT - EXQUISITE SUFFERING (2025)


En 1995, Internal Bleeding dévoilait un premier album, intitulé Voracious Contempt, qui allait tellement marquer son temps qu'on peut encore le considérer de nos jours comme l'une des références absolues en matière de slam death metal, voire même un des ouvrages précurseurs du genre (et l'un des plus brutaux de cette période). Trente ans plus tard, on retrouve chez certaines formations actuelles cette propension à pratiquer des suites de demi-tons se référant aux sons dits chromatiques adoptés pour les fameux breakdowns qui sont l'une des principales caractéristiques du slam. Le groupe Voracious Contempt, qui a poussé le mimétisme jusqu'à s'appeler ainsi en hommage direct à l'album culte d'Internal Bleeding, a repris ce vieux concept en récitant parfaitement ses gammes sur Exquisite Suffering, son premier EP.

Le tout jeune groupe texan fondé en 2023 à San Antonio, dans une région où le death a connu une forte expansion par le passé, doit certainement comporter des membres n'ayant pas plus de vingt ans et pourtant, à l'écoute des quatre morceaux constituant ce mini-album, qui fait suite à une démo datée d'il y a deux ans, on a l'impression d'entendre un groupe roulant sa bosse depuis un certain temps. Au-delà de l'indéniable solidité des compositions, dopées par une production n'ayant rien de l'amateurisme, la formation déroule des structures fidèles à l'esprit du slam/brutal death metal tel que le pratiquaient les grands spécialistes américains des années 90 tels que Repudilation, Devourment, Dehumanized et bien sûr Internal Bleeding, référence la plus évidente. Portés par d'impeccables vocaux, aussi réguliers qu'une voix de stentor, les morceaux possèdent une force naturelle ponctuée de breakdowns très savants qui n'ont pas été déposés négligemment, juste pour faire beau. Structurellement, le chromatisme se fond parfaitement à l'intérieur de la charpente pour lui donner sa solidité. L'on sent ainsi sur chaque morceau la volonté du groupe de travailler l'instrumentation jusque dans ses moindre détails avec, en toile de fond, cette ligne directrice dont il ne dévie jamais par respect pour les anciens. Une ligne qui, comme nous l'évoquions plus haut, est clairement old school, ce qui donne à cet EP un charme qu'on ne pourra contester.

L'autre petit plus qui fait également la différence vient sans doute des paroles. Si l'on prend le temps d'y accorder de l'attention, on y trouve une certaine profondeur pouvant paraître assez surprenante pour le style proposé. Certes, Exquisite Suffering, morceau qui a donné son titre à l'EP, demeure tout à fait typique du genre avec son approche résolument gore. Cependant, les surprises viennent des autres morceaux où il est question d'un raisonnement plus profond, presque de l'ordre de l'émotionnel. La souffrance résultant de la perte de l'être aimé est évoquée avec candeur et subtilité sur Eigengrau (que l'on peut traduire par "gris intrinsèque" en allemand, autrement dit la couleur perçue par l'œil humain dans l'obscurité totale), bien que le morceau en lui-même soit bien entendu, et comme il se doit, brutal d'un point de vue musical ; notre rapport fragile à la mortalité et la perte progressive de la raison jusqu'au basculement dans la folie sont mis en avant, respectivement sur Mortality et Crawling Through Delirium. Faut-il y voir la conséquence d'expériences personnelles vécues par certains membres du groupe ? Quoi qu'il en soit, le résultat est assez bluffant au regard du style pratiqué et place Voracious Contempt sur un créneau qui pourrait lui permettre d'occuper une place de choix sur l'échiquier du slam death.

samedi 25 janvier 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : CENOTAPH - THE GLOOMY REFLECTION OF OUR HIDDEN SORROWS (1992)


Si je trouvais le temps, il faudrait vraiment un jour que je vous dresse une liste des groupes les plus sous-estimés de la scène death metal. Le problème est que cette liste serait sans doute longue comme le bras et, du coup, trop longue à préparer. En admettant que cela soit possible à faire, vous pouvez être sûrs que Cenotaph y figurerait. Le groupe fondé à Mexico City en 1989, dont Oscar Clorio, le batteur, est le dernier membre originel aujourd'hui (Cenotaph splitta à deux reprises, en 1998 et 2002, avant de se reformer il y a sept ans), fut injustement snobé durant la majeure partie de sa carrière pour des raisons difficiles à expliquer. L'instabilité de son lineup, peut-être, qui évolua beaucoup, surtout les premières années (Daniel Corchado, le premier chanteur, ne resta que trois ans avant de former The Chasm et de participer à la conception de Diabolical Conquest d'Incantation), à moins que les raisons furent tout simplement d'ordre musical, Cenotaph ayant souvent eu cette réputation de groupe difficilement accessible de par le death assez technique qu'il pratiquait (on va y revenir). Il y a enfin le contexte. Le groupe latino enregistre sa première démo, Rise of Excruciation, en 1990, année durant laquelle le death commence à prendre réellement de l'ampleur aux quatre coins du monde, tandis que son premier album, The Gloomy Reflection of our Hidden Sorrows, paraît en 1992, année où déboulent plusieurs opus majeurs tels que Tomb of the Mutilated de Cannibal Corpse, Legion de Deicide, Last One on Earth d'Asphyx, Penetralia de Hypocrisy ou Onward to Golgotha d'Incantation (j'aurais pu aussi vous citer Bolt Thrower, Sinister, Demigod, Vader, Monstrosity et j'en passe). Au milieu de ce foisonnement de parutions émanant aussi bien d'Europe que des États-Unis, pas facile pour les mexicains de s'extirper de la masse.

Il faut dire que The Gloomy Reflection of our Hidden Sorrows n'est pas le genre d'album dans lequel on entre comme on entre dans un moulin, l'œuvre demandant un vrai effort de concentration et une implication de tous les instants de la part de l'auditeur. N'ayez crainte, la difficulté n'est pas insurmontable. Néanmoins, il est important de savoir, pour ceux qui ne seraient pas familiers avec ce groupe, que Cenotaph possède une griffe assez particulière, une petite touche bien à lui qui pouvait en faire, à l'époque, un trublion de la scène death metal. Commençons par les choses simples. D'un point de vue purement stylistique, l'opus possède une approche frontale par un procédé bien dans la tradition du death metal brutal et authentique. Le rythme soutenu, les phases d'accélération et de ralentissement, ainsi que l'aspect sombre des compositions n'est pas sans rappeler un death typiquement scandinave, très finlandais dans la manière d'aborder les choses, un peu comme le faisaient jadis des formations connues de ce pays telles que Demigod, Demilich ou Purtenance. Le morceau Ashes in the Rain, qui fait suite à l'introduction instrumentale Requiem for a Soul Request, constitue un exemple flagrant à lui seul. Dans ce même registre spontané et vrai, Repulsive Odor of Decomposition, morceau qui referme le disque, se pose également là. La section rythmique est redoutable et écrasante, tandis que Daniel Corchado, qui quittera le groupe après cet album, abat un travail monstre au chant en descendant bas dans le guttural, un peu comme Antti Boman de Demilich pouvait le faire.

Là où réside la surprise qui peut rendre plus compliquée l'expérience d'écoute, notamment pour les moins aguerris, se situe sur les autres morceaux. Par un jeu très habile de construction et d'arrangements dans l'armature des compositions, Cenotaph surprend l'auditeur en s'engageant dans des détours labyrinthiques grâce à une technicité remarquable. Au-delà du fait que la basse soit très souple et que les guitares aient une tonalité les rendant pour ainsi dire criardes, comme si elles étaient torturées par les musiciens, le groupe élabore des espaces dans les lesquels il montre une superbe technique se rapprochant fortement du death progressif. Attention, je n'irais pas jusqu'à dire que les mexicains rivalisent ici haut la main avec un groupe comme Death, par exemple. Pourtant, sur les bijoux que sont Evoked Doom, In the Cosmic Solitude ou Tenebrous Apparitions (titre à l'atmosphère la plus sombre sur cet album, avec son alternance chant clair, chant guttural), on sent un Cenotaph littéralement métamorphosé et pas si loin de la technique d'un Chuck Schuldiner et d'un Steve DiGiorgio période Human ou Individual Thought Patterns. Les expérimentations sont même poussées encore plus loin, et avec succès, sur le morceau de bravoure de cet opus, The Spiritless One, où toute la technicité de Cenotaph nous est dévoilée dans sa plénitude, son inventivité et son audace, lors d'un moment presque transcendantal nous faisant ouvrir de nouvelles portes. C'est dans ces instants que résident les parties les plus délicates à appréhender de The Gloomy Reflection of our Hidden Sorrows. Les pentes et les rampes y sont tellement vertigineuses qu'un effort de concentration s'avère nécessaire afin de ne pas perdre pied.

Si vous vous révélez attentifs et constamment à l'écoute, vous allez vivre sur cet album le genre d'expérience dont on peut ressortir transfiguré. Cela revient, en quelque sorte, à découvrir le death metal par un côté que l'on n'avait pas envisagé de prime abord et c'est ce qui fait à mes yeux de ce disque une des œuvres musicales les plus importantes de l'année 1992 et même, osons le dire, toute époque confondue.

vendredi 24 janvier 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : PESTILENT DEATH - EULOGIES OF PUTREFACTION (2016)


Je ne vous apprendrai rien en disant que le death metal et le film d'horreur ont toujours entretenu une relation très proche, le premier s'inspirant beaucoup du second à l'image de nombreux groupes fouillant dans les archives de ce genre cinématographique pour y trouver les ingrédients nécessaires aux compositions qui figureront sur leurs futurs albums. Pestilent Death fait partie de ces formations entretenant depuis ses débuts en 2010 à Los Angeles un lien solide et affectif avec le cinéma d'épouvante. Un lien qui s'est toujours traduit aussi bien dans les morceaux qu'ils ont conçu que pour les pochettes de leurs albums, jamais avares en référence.

Après deux démos et un EP parus entre 2012 et 2014, les californiens se décidaient à franchir un cap important en 2016 avec la parution de Eulogies of Putrefaction, leur premier album. Sans surprise, ce dernier révélait le goût prononcé du quatuor pour les ambiances horrifiques avec moult zombies, cimetières, cadavres et autres squelettes de retour de la tombe. Au-delà de l'aspect purement esthétique de ce disque, aspect auquel il faut accorder de l'importance afin que toute l'imagerie ayant attrait à l'horreur puisse se révéler efficace, le groupe prend soin ici de concevoir des morceaux racontant chacun leur petite histoire mortifère. On y voit ainsi des galeries de personnages que l'on n'aimerait pas rencontrer, du profanateur de sépultures aux lâches penchants nécrophiles, au psychopathe prenant un plaisir obscène à torturer ses victimes, en passant par un passionné de films d'horreur qui a sans doute trop regardé Massacre à la tronçonneuse

Au milieu de ce chaos où les odeurs de pestilence pourraient presque être palpables, les californiens s'expriment musicalement dans un registre death metal old school très intéressant, parfois sur un rythme endiablé pas très loin du death/thrash, comme sur Unearthly Immolations ou la bonne reprise de Necrocannibal de Mortician, parfois sur un rythme beaucoup plus lent (Premonitions of Misery et The Lament Configuration) où le groupe se rapproche d'un death/doom massif et lugubre à la Mortiferum. On peut aussi ressentir des influences venant de Necrophagia (grand adepte du death gore devant l'éternel) sur Chainsaw Debauchery, hommage direct à Massacre à la tronçonneuse, comme évoqué plus haut, même si, on ne va pas se le cacher, c'est surtout l'école du vieux death putride et malsain de l'Amérique du Sud qui est mise en avant sur cet album. La formule a beau être d'une simplicité confondante, Pestilent Death la travaille avec une dextérité qui a de quoi imposer le respect.

mercredi 22 janvier 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : VARLOK - CONJURING ICE AND NEBULOUS SPELLS (2025)


Varlok n'est plus. L'entité née en 2018 à Kansas City n'aura donc foulé cette terre que durant sept ans au cours desquels deux albums nous ont été légués. Bien que j'ignore les raisons exactes de cette séparation, l'hypothèse selon laquelle les membres du groupe étaient déjà très occupés avec leurs projets respectifs semble tenir la route, au-delà de toute autre considération. Pour information, trois des quatre membres s'impliquent beaucoup depuis plus de dix ans dans le projet black metal Verräter. Ajoutons à cela que l'un des guitaristes et le batteur ont cofondé en 2009 le groupe de death metal Garoted, avec lequel ils ont sorti quatre albums, et toujours en activité aujourd'hui.

C'est du deuxième album (et donc le dernier, par voie de conséquence) de Varlok dont il est question ici, une œuvre pour ainsi dire quasi posthume, intitulée Conjuring Ice and Nebulous Spells, étant donné que sa date de parution, le 10 janvier dernier, coïncide plus ou moins avec celle de l'acte de décès du groupe américain. Leur précédent opus, Nefarious Arts of the Necromage, paru en 2021, révélait un groupe oscillant entre tradition et modernité, ancré dans un black metal accordant une place prépondérante à la mélodie. Empreinte d'un certain mysticisme qui n'était pas sans rappeler leurs compatriotes de Wolves in the Throne Room, Ash Borer, Panopticon, de même que les britanniques de Winterfylleth ou les allemands de Der Weg einer Freiheit, la démarche de Varlok se voulait avant tout tournée vers la pureté du black metal mélodique pratiqué dans les règles de l'art.

Cette démarche se retrouve sur Conjuring Ice and Nebulous Spells bien que le groupe du Missouri y intègre des éléments plus sombres pouvant le rapprocher du black metal cru de la vieille époque. C'est pourquoi il ne faut pas se méprendre sur l'aspect purement mélodique des choses sur cet album. C'est bien l'obscurité et la malfaisance qui règnent en maîtres ici et Varlok tient à nous le rappeler avec autorité sur des morceaux diablement efficaces et brutaux comme Virulent Curse ou Primordial Screams from the Gaping Abyss. L'effet rouleau-compresseur, porté par des trémolos de grande classe vous collant des frissons dans la moelle épinière, est particulièrement terrifiant sur ces compositions, la solidité des structures aidant beaucoup. Cependant, dans ce chaos où l'auditeur semble errer sur des glaciers craquelant, grandioses et terribles, la majesté peut apparaître dans des mélodies à couper le souffle dont l'envergure peut impressionner sur In Solitude and Perennial Suffering, par exemple, ou le magnifique From a Departed Somber Realm. Je dois dire que c'est dans ces moments-là que le black metal de Varlok prend de l'ampleur, du volume et une vraie consistance même si, encore une fois, le groupe a également fière allure dans un registre plus raw. Bref, si vous recherchez du black mêlant à la fois élégance, pureté, noirceur et brutalité, vous aurez probablement de quoi vous sustenter avec Conjuring Ice and Nebulous Spells, ultime chapitre d'une formation qui, bien que trop tôt disparue, aura tout de même laissé une belle trace de son passage dans les montagnes enneigées.

CHRONIQUES DE LA FOSSE : STRESS ANGEL - BURSTING CHURCH (2021)


Enfanté dans les rues de Brooklyn en 2018, sous l'égide du créatif chanteur/batteur Manny Sores et son fidèle acolyte Nicolai Orifice, Stress Angel s'est taillé une solide réputation sur la scène death metal de New-York à tel point que votre serviteur n'hésitait pas récemment à placer leur second album Punished by Nemesis parmi les trente meilleurs albums de death metal de l'année 2024, ni plus ni moins. Avant cet opus majeur, le duo, qui s'est récemment enrichi d'un troisième membre à la basse, s'était déjà distingué sur quelques brûlots bien sentis tels que des démos et des singles. Puis, il y eut en 2021 ce qui constituait le premier grand acte de leur discographie, l'album Bursting Church, qui les propulsa véritablement sur le devant de la scène.

Je me souviens avoir été quelque peu dérouté quand j'ai découvert Stress Angel pour la première fois car, pour tout vous dire, je m'attendais surtout à un énième groupe de death metal old school US en me référant à ce que j'avais pu entendre sur eux par le bouche à oreille. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je me rendis compte que les new-yorkais étaient bien plus que ça. J'en ai réellement pris conscience à l'écoute de cet album. Oui, il est vrai que dans l'esprit, le death metal occupe une place très importante chez Stress Angel. Du death crasseux, grossier (les Anglo-Saxons emploieraient sans doute à bon escient le terme de filthy ou smutty), très vieille école dans sa conception, à l'image de ce que Possessed, Death Strike ou Autopsy, par exemple, pouvaient nous proposer du temps de leur prime jeunesse. Néanmoins, les gars de Brooklyn s'attachent sur cet album à bousculer certains codes en ne se gênant pas pour taper du pied dans la fourmilière.

Ainsi, l'on se retrouve parfois plongé dans le death/thrash de la fin des années 80 sur les bombes incendiaires que sont Exposure to a Disease ou Starving to a Closet, alors que Flaming Kingdom ou Angel of Stress ont plus tendance à se braquer sur un New-York hardcore de la grande époque imprégné d'un death old school guerrier et subversif. Sur certains riffs et solos de guitare, le blackened thrash d'Aura Noir n'est pas loin (Godless Shrill) avec même un petit arrière-goût bien épicé de Venom (Mohel's Kiss) et le vieux Celtic Frost période 1984-87 (Final Doom). Stress Angel nous dévoile également toute son adresse et sa technicité sur des morceaux au tempo plus lent comme Life Alert (sublime section rythmique) sans oublier le phénoménal The Human refermant l'opus où l'on entre sur un territoire flirtant avec les frontières du doom des temps anciens typé seventies. C'est dire à quel point ces jeunots connaissent les classiques sur le bout des doigts.

Death, black, thrash, hardcore, punk. Chercher à coller une étiquette à Stress Angel dans le but de l'identifier dans le paysage musical serait vain. Dites vous simplement que Bursting Church est comme un livre d'histoire du metal grand ouvert dans lequel on peut s'abreuver à volonté, un livre essentiellement conçu pour le pur plaisir d'écouter de la bonne musique pratiquée par un groupe au talent infini.

mardi 21 janvier 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : PROFANATION - SKULL CRUSHING VIOLENCE (2023)


Le format mini-album (ou extended play si vous préférez) possède certains avantages, pas seulement financiers. Non seulement il permet de mieux cerner l'identité musicale d'un groupe et de plonger plus en profondeur dans la structure des compositions mais, je trouve aussi qu'il s'adapte bien à notre temps, dans une société où tout va plus vite, où l'on est plus soumis à un rythme qui n'est pas le nôtre avec pour conséquence d'avoir moins de temps pour écouter des albums longue durée alors que l'EP est plus court, du coup plus abordable.

Fondé il y a cinq ans à Paris, Profanation a choisi cette voie du format étendu pour nous faire découvrir son univers ultra violent. Bien que le bien nommé Skull Crushing Violence soit leur seule sortie discographique à ce jour, d'abord paru en décembre 2023 en digital, avant d'être édité en vinyle et CD par Iron Bonehead Productions en mai de l'année suivante, nous n'avons pas affaire ici à des amateurs venus de nulle part. Le lineup en béton armé se compose de musiciens aguerris qui travaillent ou ont travaillé pour de solides formations françaises telles que Venefixion, Necrowretch, Regarde les Hommes Tomber, Goatspell et Sépulcre, sans oublier les australiens de Deströyer 666 (dont fait partie Kev Desecrator, le guitariste). Une telle ribambelle de "crache-le-feu" ne pouvait s'allier que dans la malfaisance la plus totale, chacun apportant sa petite touche personnelle de par le milieu musical auquel il touche (ou a touché) dans les groupes précités. Death metal, black metal, sludge metal et même punk, tout est passé à la moulinette, mâché, mastiqué, recraché, ravalé et vomi en toute insanité pour accoucher finalement de cet EP.

Il n'y a pas de compromission ici, pas de compassion pour quiconque, pas un pouce de terrain cédé. Essayez simplement d'imaginer les membres du groupe aux commandes d'un char blindé qui progresse inexorablement au milieu d'un champ de bataille jonché de cadavres, écrasant les corps, les réduisant en bouillie, pulvérisant les os jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que de la poudre que le vent diffuse dans les airs. C'est à peu de choses près cet effet-là que va vous faire ce mini-album. Là, quelque part entre la crasse sans limite des américains de Repulsion, la brutalité féroce des finlandais de Concrete Winds ou les blasphèmes véhéments d'Antichrist Siege Machine, là où le metal extrême (le terme n'étant ici pas usurpé) rencontre l'insolence et la sauvagerie du punk le plus primitif, vous trouverez Profanation. Tantôt d'une agressivité ne se cachant pas derrière les apparences (comme sur Global Terror ou Profanation), tantôt chirurgical comme un professionnel magnant le scalpel (Modern Sickness), tantôt punk/hardcore (l'énervé Graveyard Stomp), tantôt plus proche d'un death sincère ancré dans ses racines (comme sur le sublime et terrifiant Skull Crushing Violence), le combo parisien ne s'essouffle jamais, distribue les coups comme un boxeur infatigable, nous servant une soupe épaisse, consistante, sous la forme d'un pur concentré de death/punk qui tient à l'estomac et vous maintient au chaud pour un long moment. Pour ceux qui cherchent des sensations fortes, Profanation est votre sauveur.

vendredi 17 janvier 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : DESASTER - STORMBRINGER (1997)


En 1997, quelques mois à peine après la sortie de son premier album, A Touch of Medieval Darkness, sur Merciless Records, Desaster surprenait un peu tout le monde en dévoilant sur le même label un EP 5 titres intitulé Stormbringer. Le groupe fondé à Coblence en 1988 possédait alors un lineup redoutable composé d'Oliver Martin au chant, Markus Kuschke à la guitare (ces deux-là s'étant partagés le travail pour l'écriture des paroles), Volker Moritz à la basse et Stefan Hüskens à la batterie (qui rejoindra bien plus tard Asphyx). Portés par des critiques souvent élogieuses de leur premier opus, les allemands semblaient résolus à ne pas relâcher leur étreinte avant de commencer à travailler sur leur deuxième LP, Hellfire's Dominion, qui allait sortir en 1998. Desaster était alors dans l'une des ses périodes les plus fastes et les plus inspirées, atteignant des points culminants de créativité qui en faisaient un fer de lance du thrash metal européen.

Dans la droite lignée de A Touch of Medieval Darkness, Stormbringer combine à merveille les éléments du thrash des années 80 avec ceux d'un black metal de la vieille école qui peut aussi bien rapprocher le groupe teuton de Sodom ou Nifelheim que de Venom ou Deströyer 666. Grâce à la qualité remarquable des compositions, ces agencements fonctionnent avec efficacité sur des morceaux guerriers comme The Swords Will Never Sink et Face of Darkness avec en prime un parfum épique capable de prendre beaucoup d'ampleur dans l'instrumentation, notamment sur Stormbringer, superbe pièce sombre et haineuse de six minutes ouvrant en beauté le mini-album.

Dans ses moments les plus créatifs, le groupe sait varier les plaisirs avec une aisance déconcertante. Ainsi, sur des pistes plus courtes et plus rapides, il peut devenir furieusement thrash, comme sur l'excellent Sacrilege ou encore la reprise de folie du Tormentor de leurs compatriotes Kreator, extrait du mythique Endless Pain. Quand l'ambiance se fait en revanche plus lugubre, c'est alors le black metal qui reprend un peu l'ascendant, notamment grâce aux vocalises d'Oliver Martin, mais avec toujours cet esprit thrash que le groupe ne renie pas et qu'il ne reniera d'ailleurs jamais sur les enregistrements qui suivront, de Tyrants of the Netherworld à Angelwhore en passant par Divine Blasphemies. Si vous voulez entendre un groupe qui manie à la perfection les codes du blackened thrash, ne cherchez pas plus loin, Stormbringer de Desaster fera parfaitement l'affaire.


CHRONIQUES DE LA FOSSE : PORTA DAEMONIUM - SERPENT OF CHAOS (2016)


Depuis la nuit des temps, pour ainsi dire, l'Amérique du Sud s'est toujours employée à repousser un peu plus loin les limites de l'extrême dans le domaine du death metal en y incorporant de multiples éléments venant aussi bien du thrash metal que du black metal. Bien des groupes du continent sud-américain s'engagèrent dans la saillie laissée par Sepultura, Sarcofago et Vulcano, notamment au Chili qui allait devenir un des foyers les plus actifs du metal extrême. Porta Daemonium sortit du bois en 2011, bien décidé à apporter sa contribution à cette scène survoltée et subversive.

Toujours en activité aujourd'hui, le groupe de Santiago nous a pour le moment légué un album, Serpent of Chaos, paru le 12 mai 2016 chez Iron, Blood and Death Corporation. De prime abord, et sans grande surprise, on retrouve sur ce disque tout ce qui fait la spécificité et la malfaisance du death metal old school sud-américain. La voix très basse et très gutturale du chanteur, le dénommé Avitchi (qui n'appartient plus au groupe de nos jours) se pose sur des rythmiques à la fois rapides et syncopées selon les morceaux. Porta Daemonium, par exemple, s'attache à gratifier la grande tradition du blackened death de la vieille école comme les formations sud-américaines savent si bien le pratiquer, tout comme To the Left of God, tandis que nous entrons en territoire un peu plus doomy sur A las primordiales serpentes del caos, seul morceau chanté dans la langue de Cervantès. Jusque-là, rien de nouveau, la solidité des compositions étant largement à la hauteur pour compenser l'effet de déjà entendu.

En revanche, le groupe parvient à nous surprendre en déguisant son death metal sous un aspect plus abrupt et bourru sur d'autres morceaux. Ainsi, quand la batterie se fait plus véloce et plus agressive, c'est tout près des frontières du brutal death metal, voire slamming, que nous nous retrouvons à l'écoute des titanesques monolithes de douleur et de ténèbres que sont Via Sinistra, The Blood of the Dark Madness et The Apep's Chaotic Dreams. Très à l'aise dans tous les registres, le groupe se permet même de refermer l'opus par un Under the Sigils of the Fallen Angels dans lequel il mélange toutes ses influences, du death, au black en passant par le doom. Inutile de vous préciser que l'ambiance qui règne dans ce labyrinthe est évidemment très sombre, délétère, les incantations occultes proférées par le vocaliste y étant sans doute pour beaucoup. L'on obtient au final un album qui, bien qu'étant typique de la scène chilienne dans son apparence, révèle des sentiers cachés qui le rendent attractif dans sa conception.

vendredi 10 janvier 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : SMYRTONOS - MISANTHROPIC FLAME OF BLACK DEVOTION (2024)


Très souvent, le titre d'un album peut à lui seul en résumer le contenu. C'est logiquement le cas avec Smyrtonos, dont le premier opus, Misanthropic Flame of Black Devotion, est un doigt d'honneur frontal à l'humanité. D'abord paru en indépendant au printemps dernier, l'album bénéficiait en décembre d'un pressage vinyle par les bonnes grâces du réputé label espagnol BlackSeed Productions. Il nous était donc donné l'occasion de nous plonger dans cette œuvre aussi radicale que nécrotique née dans l'esprit torturé de Todorac, activiste bulgare basé à Sofia. S'il s'agit bien de son premier album, l'homme n'en est pas pour autant à ses débuts puisqu'il sévit depuis 2022 dans le milieu très fermé du black metal underground, auteur de plusieurs démos qui ne sont pas passées inaperçues auprès des adeptes du genre et autres curieux à l'esprit aventureux appréciant les ténèbres et la noirceur.

Avec une approche directe, c'est le moins qu'on puisse, mais aussi profondément philosophique malgré la crudité dont il fait preuve, Smyrtonos entretient avec dévotion (tout est dans le titre, comme je le disais) la flamme du black metal des années 90, celui de cette époque bénie où le black était vrai de vrai, authentique, sincère et subversif. L'occultisme et le satanisme occupent comme il se doit une place prépondérante sur cet opus mais aussi, certains sujets plus sociétaux comme l'addiction ou la dépression, si bien que l'on se retrouve ici avec un ouvrage profondément ancré au cœur même des turpitudes et autres tourments de l'âme humaine. L'auditeur se doit par conséquent d'être mentalement paré à affronter de rudes tempêtes sur ce disque aux nombreux chemins escarpés et ne pardonnant pas la faiblesse.

Musicalement, nous touchons parfois au grandiose, au majestueux, avec un black très inspiré, animé d'une flamme éclairant les ténèbres. Furieusement punk sur Satanic Black Metal, une excellente entrée en matière qui annonce le fracas, ainsi que sur l'imposant Within the Layers of Time, plus long single de l'album avec ses sept minutes ; intensément thrash sur le brûlant et démoniaque Satanic Slaughter, tandis que Sacrificial Winds se pare d'une ambiance cosmique à vous filer des frissons que vous ne pourrez pas réprimer. Quant à Coldest Desolation, on y voit l'influence du Mayhem des débuts, période Deathcrush. C'est là qu'est la force de Misanthropic Flame of Black Devotion, à savoir la remarquable capacité de l'artiste à cultiver la passion du true black metal en rendant hommage à ces glorieux anciens qui ont fait vivre le style, de Sargeist à Horna en passant par Behexen, Urgehal, Gorgoroth et bien sûr le true Mayhem. Toutes ces influences nous explosent à la gueule sur cet album gorgé de haine et de désespoir absolu qui s'inscrit parmi les sorties majeures de 2024 dans le domaine du black metal old school.

CHRONIQUES DE LA FOSSE : WARP CHAMBER - IMPLEMENTS OF EXCRUCIATION (2020)


Apparu en 2016 dans le paysage musical, Warp Chamber a acquis une certaine notoriété lorsque le label Profound Lore Records a édité le premier album de la formation américaine, Implements of Excruciation. Auparavant, le quintette s'était testé avec succès sur une démo inaugurale comportant deux morceaux massifs que l'on retrouve d'ailleurs sur cet album. Une première chose pourrait éventuellement faire tiquer certains puisqu'en plus de ces deux titres, on ne découvre que deux inédits sur cet opus qui compte en tout, vous l'aurez compris, seulement quatre morceaux pour trente minutes d'écoute au total. Cependant, n'allez surtout pas croire que Warp Chamber se fiche de la tronche du client.

En effet, nous ne sommes pas ici dans du death metal de pacotille, mes chers amis. Ces gars nous servent des morceaux travaillés jusque dans les moindres recoins, lourds, copieux, avec un rythme soutenu, des nappes de guitares à vous donner des convulsions spasmodiques et des mélodies torturées à la technicité remarquable. Ainsi, Abdication of Mind, le morceau qui ouvre l'album, nous met tout de suite dans l'ambiance avec ses rythmiques écrasantes à l'intérieur desquelles viennent se greffer les vocaux terrifiants d'un chanteur qui semble avoir avalé un ours des cavernes victime d'une indigestion. Si le morceau suivant, Shadows of Long Forgotten Terror, peine à transformer l'essai en étant sans doute rébarbatif, le groupe renchérit heureusement derrière dans l'excellence avec deux superbes pièces. D'abord un Harvesting the Life Force of a Crumbling Orb que des groupes comme Cosmic Putrefaction ou Sepulchral Curse, par exemple, n'auraient sans doute pas renié puis, un final en apothéose que conclue royalement Exultant in Chthonic Blasphemy, LE chef-d'œuvre de ce disque, pur moment de génie où les transitions atteignent plusieurs points culminants lors de changements de rythme qui vous scotchent sur place, le tout avant qu'un solo de guitare venu d'ailleurs ne vous écarquille les yeux au point de les faire sortir de leurs orbites.

Warp Chamber accouche d'un grand album, le seul à ce jour, où s'entremêlent tradition et modernité, grâce à des compositions très riches, d'une grande créativité et dignes d'un death metal à la fois cosmique, caverneux et apocalyptique nous transportant vers des sphères où le terme dit extrême prend tout son sens. Espérons que ce premier chapitre sera bientôt suivi d'un autre aussi réussi.

lundi 6 janvier 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : PVRGATORII - MARCHING THROUGH THEE NIGHT GUIDED BY A BLACK FIRE (2024)


Depuis qu'il a commencé à émerger en Europe au milieu des années 80, le black metal a subi de nombreuses mutations, pas toujours du meilleur goût pour certaines. Le genre a clairement évolué lorsque des éléments symphoniques et médiévaux sont venus se greffer aux compositions avec, il faut le dire, un résultat non dénué d'intérêt. Hélas, les choses ont commencé à partir dans tous les sens lorsque le style s'est aventuré vers la musique folk et l'electro ambient qui donnèrent notamment cette soupe indigeste qu'est le dungeon/synth, pendant que d'autres groupes s'essayaient au metal atmosphérique avec l'étiquette post-black metal bien visible sur le dos. Avant tout cela, la deuxième vague de black metal qui avait déferlé de Norvège au début des années 90 nous avait ramené à quelque chose de plus cru, plus primitif et plus authentique et s'il ne reste aujourd'hui quasiment rien de cette période pourtant novatrice, malgré les scandales qui l'ont traversée, il en ressort un héritage que quelques groupes tentent de conserver. Des groupes qui, pour quelques-uns d'entre eux, semblent rebrousser le temps pour revenir vers ce que le black metal pouvait avoir de meilleur dans ses origines stylistiques venant du thrash, du speed et du punk.

Né en 2018 à Barcelone, Pvrgatorii pratique un black metal qui pourrait le situer chronologiquement quelque part entre la première et la seconde vague du genre. Pas de corpsepaint ici, ni de thématiques ayant attrait au satanisme ou à tout autre imagerie traditionnellement véhiculée dans le black metal, ce duo catalan préférant officier dans un registre pouvant s'apparenter à des sujets qui vont de l'anarchie à la critique de l'humanisme en passant par les doctrines ésotériques. Des thèmes qui peuvent ici surprendre alors que tout semblerait à première vue indiquer que le combo baigne dans tout ce que le black a de plus classique avec un titre et une pochette d'album suffisamment parlants pour savoir à quoi on a affaire. Pourtant, nous sommes loin d'un black metal tel que les groupes norvégiens de la deuxième vague l'exécutaient, Marching Through Thee Night Guided by a Black Fire empruntant des sentiers qui nous ramènent aux prémices du style. L'album est black metal sur le fond, aucun doute là-dessus, tandis que sur la forme, les influences venant du punk hardcore sont très présentes, suintant sur chaque morceau, notamment sur les brûlots incendiaires que sont Serpents Show No Mercy et For Thee Witches. Black metal et punk rock font bon ménage sur cet album, le deuxième du groupe. Ce dernier sait bien jongler entre les deux styles, son aisance étant parfois déconcertante, et ce dès le morceau d'ouverture, Esoterik Antihuman Noise Militia, qui nous entraîne tout de suite dans le vif du sujet. De plus, la production est bien assurée, franche et directe, comme une série d'uppercuts qui touchent leur cible, même si les vocaux pourraient éventuellement en déconcerter certains de par les effets produits dessus (c'est un peu comme si le chanteur avait carrément le micro dans la bouche). Cependant, rien de rédhibitoire, la mixture opère et le groupe arrive même encore à nous surprendre sur un dernier morceau, l'éponyme Marching Through Thee Night Guided by a Black Fire, sur lequel les éléments punk sont un peu délaissés pour laisser plus d'espace à un black metal old school qui vient des tripes. On regrettera juste que l'opus soit aussi court, six morceaux pour moins de vingt-cinq minutes d'écoute mais, c'est sans doute le style pratiqué ici qui veut ça. Qu'à cela ne tienne, Pvrgatorii nous a pondu un sacré bon album, sincère, insolent et dans l'air du temps, tel un crachat à la face de la bien-pensance.