Si je trouvais le temps, il faudrait vraiment un jour que je vous dresse une liste des groupes les plus sous-estimés de la scène death metal. Le problème est que cette liste serait sans doute longue comme le bras et, du coup, trop longue à préparer. En admettant que cela soit possible à faire, vous pouvez être sûrs que Cenotaph y figurerait. Le groupe fondé à Mexico City en 1989, dont Oscar Clorio, le batteur, est le dernier membre originel aujourd'hui (Cenotaph splitta à deux reprises, en 1998 et 2002, avant de se reformer il y a sept ans), fut injustement snobé durant la majeure partie de sa carrière pour des raisons difficiles à expliquer. L'instabilité de son lineup, peut-être, qui évolua beaucoup, surtout les premières années (Daniel Corchado, le premier chanteur, ne resta que trois ans avant de former The Chasm et de participer à la conception de Diabolical Conquest d'Incantation), à moins que les raisons furent tout simplement d'ordre musical, Cenotaph ayant souvent eu cette réputation de groupe difficilement accessible de par le death assez technique qu'il pratiquait (on va y revenir). Il y a enfin le contexte. Le groupe latino enregistre sa première démo, Rise of Excruciation, en 1990, année durant laquelle le death commence à prendre réellement de l'ampleur aux quatre coins du monde, tandis que son premier album, The Gloomy Reflection of our Hidden Sorrows, paraît en 1992, année où déboulent plusieurs opus majeurs tels que Tomb of the Mutilated de Cannibal Corpse, Legion de Deicide, Last One on Earth d'Asphyx, Penetralia de Hypocrisy ou Onward to Golgotha d'Incantation (j'aurais pu aussi vous citer Bolt Thrower, Sinister, Demigod, Vader, Monstrosity et j'en passe). Au milieu de ce foisonnement de parutions émanant aussi bien d'Europe que des États-Unis, pas facile pour les mexicains de s'extirper de la masse.
Il faut dire que The Gloomy Reflection of our Hidden Sorrows n'est pas le genre d'album dans lequel on entre comme on entre dans un moulin, l'œuvre demandant un vrai effort de concentration et une implication de tous les instants de la part de l'auditeur. N'ayez crainte, la difficulté n'est pas insurmontable. Néanmoins, il est important de savoir, pour ceux qui ne seraient pas familiers avec ce groupe, que Cenotaph possède une griffe assez particulière, une petite touche bien à lui qui pouvait en faire, à l'époque, un trublion de la scène death metal. Commençons par les choses simples. D'un point de vue purement stylistique, l'opus possède une approche frontale par un procédé bien dans la tradition du death metal brutal et authentique. Le rythme soutenu, les phases d'accélération et de ralentissement, ainsi que l'aspect sombre des compositions n'est pas sans rappeler un death typiquement scandinave, très finlandais dans la manière d'aborder les choses, un peu comme le faisaient jadis des formations connues de ce pays telles que Demigod, Demilich ou Purtenance. Le morceau Ashes in the Rain, qui fait suite à l'introduction instrumentale Requiem for a Soul Request, constitue un exemple flagrant à lui seul. Dans ce même registre spontané et vrai, Repulsive Odor of Decomposition, morceau qui referme le disque, se pose également là. La section rythmique est redoutable et écrasante, tandis que Daniel Corchado, qui quittera le groupe après cet album, abat un travail monstre au chant en descendant bas dans le guttural, un peu comme Antti Boman de Demilich pouvait le faire.
Là où réside la surprise qui peut rendre plus compliquée l'expérience d'écoute, notamment pour les moins aguerris, se situe sur les autres morceaux. Par un jeu très habile de construction et d'arrangements dans l'armature des compositions, Cenotaph surprend l'auditeur en s'engageant dans des détours labyrinthiques grâce à une technicité remarquable. Au-delà du fait que la basse soit très souple et que les guitares aient une tonalité les rendant pour ainsi dire criardes, comme si elles étaient torturées par les musiciens, le groupe élabore des espaces dans les lesquels il montre une superbe technique se rapprochant fortement du death progressif. Attention, je n'irais pas jusqu'à dire que les mexicains rivalisent ici haut la main avec un groupe comme Death, par exemple. Pourtant, sur les bijoux que sont Evoked Doom, In the Cosmic Solitude ou Tenebrous Apparitions (titre à l'atmosphère la plus sombre sur cet album, avec son alternance chant clair, chant guttural), on sent un Cenotaph littéralement métamorphosé et pas si loin de la technique d'un Chuck Schuldiner et d'un Steve DiGiorgio période Human ou Individual Thought Patterns. Les expérimentations sont même poussées encore plus loin, et avec succès, sur le morceau de bravoure de cet opus, The Spiritless One, où toute la technicité de Cenotaph nous est dévoilée dans sa plénitude, son inventivité et son audace, lors d'un moment presque transcendantal nous faisant ouvrir de nouvelles portes. C'est dans ces instants que résident les parties les plus délicates à appréhender de The Gloomy Reflection of our Hidden Sorrows. Les pentes et les rampes y sont tellement vertigineuses qu'un effort de concentration s'avère nécessaire afin de ne pas perdre pied.
Si vous vous révélez attentifs et constamment à l'écoute, vous allez vivre sur cet album le genre d'expérience dont on peut ressortir transfiguré. Cela revient, en quelque sorte, à découvrir le death metal par un côté que l'on n'avait pas envisagé de prime abord et c'est ce qui fait à mes yeux de ce disque une des œuvres musicales les plus importantes de l'année 1992 et même, osons le dire, toute époque confondue.
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