mardi 28 octobre 2025

LE CULTE DE L'UNDERGROUND : CES VOIX FÉMININES INFLUENTES DU THRASH METAL DES ANNÉES 80


Apparu au début des années 80 avant de devenir véritablement populaire à partir de 1984, le thrash metal, enfant terrible du heavy metal et du punk hardcore, était (et demeure encore aujourd'hui) une affaire d'hommes. Cependant, les femmes ne sont pas restées silencieuses pour autant puisque dès la première moitié des années 80, on peut voir l'émergence de groupes emmenés par des chanteuses, voire même des formations thrash entièrement composées de femmes, aussi bien au chant, à la guitare, à la basse et à la batterie. Certaines d'entre elles sont devenues des figures charismatiques du genre même si l'aventure tourna court pour nombre de ces groupes. Il est donc temps de rendre aux femmes ce qui leur appartient en évoquant la mémoire de celles qui ont animées la très prolifique scène thrash metal des années 80. Nous avons pour cela retenu six formations parmi les plus réputées de l'époque.

Détente (image ci-dessus) déboule dans le paysage musical en 1984 depuis la Cité des Anges. Le groupe n'est d'abord qu'un duo composé de Dennis Butler et Dawn Crosby, puis devient un quatuor et finalement un quintette avant la sortie de son premier opus, Recognize No Authority, en 1986 chez Metal Blade Records. Le groupe est alors propulsé sur le devant de la scène en étant porté par le charisme de sa chanteuse, Dawn, dont le timbre de voix détonne dans le milieu. Hélas, d'incessants changements de lineup, conduisant notamment au renvoi de Caleb Quinn et de Steve Hochheiser (respectivement guitariste et bassiste) finissent par faire exploser le groupe en 1989. Détente essaiera bien de revenir en 2007, avec le retour de Quinn et Hochheiser, ainsi que l'arrivée d'une nouvelle chanteuse, Ann Boleyn, qui sera vite remplacée par Tina Teal mais, sans succès puisque la formation implose de nouveau en 2010 après la parution de son second album, Decline, chez Cognitive Records. Un baroud d'honneur a lieu en 2019 lors d'une réunion qui aboutit à une nouvelle séparation cette année. On peut dire au final que l'âge d'or de ce groupe à la carrière mouvementée s'est produit entre 1984 et 1989, en pleine domination du thrash metal. Si Dawn Crosby fut à n'en pas douter pour beaucoup dans cet engouement, elle n'eut hélas pas le temps de poursuivre sa carrière puisqu'elle mourut en 1996 d'une insuffisance hépatique aiguë à seulement trente-trois ans. 


C'est également de Californie, de Sacramento pour être précis, qu'arrive Sentinel Beast, la même année que Détente. Le groupe est alors un quintette emmené par une énergique jeune femme à la crinière sombre, Debbie Gunn (de son vrai nom Deborah Gunderson, née à Leicester en Grande-Bretagne). Debbie n'a pas encore vingt-quatre ans lorsque le combo sort sa première démo, Kill the Witch, en 1984. Deux autres démos suivent l'année d'après alors que Sentinel Beast est déjà secoué par des remous dans son lineup. Cependant, un album, le seul et unique, Depths of Death, voit le jour en 1986 chez Metal Blade Records. On peut y admirer toute la plénitude d'un groupe au taquet malgré les difficultés rencontrées pour trouver la stabilité, lorgnant vers un thrash aux accents punk que portent les vocalises insolentes de Debbie Gunn. Après ce brûlot incandescent, Sentinel Beast est de nouveau agité par des problèmes internes qui conduisent à une séparation en 1987, Michael Spencer, le bassiste, partant rejoindre Flotsam and Jetsam, tandis que Debbie allait devenir, un peu plus tard, et pour un temps très court, la chanteuse du groupe thrash féminin Ice Age, dont nous allons parler.



Quand on parle de charisme, Sabina Classen se pose là. Ajoutez-y l'irrévérence qu'il faut, ainsi qu'un brin de provocation et de je m'en-foutisme, vous obtenez une des personnalités les plus influentes que le thrash metal ait enfanté. La native d'Aix-la-Chapelle, en Allemagne, n'a que dix-neuf ans lorsqu'elle intègre Holy Moses en 1982 sur la démo Satan's Angel. Elle porte encore son nom de jeune fille, Hirtz, avant qu'elle n'épouse l'année suivante Andy Classen, guitariste du groupe. Les choses se mettent alors à aller très vite. Après une flopée de démos ancrées dans un style speed thrash ne faisant pas de concessions, le combo dévoile son premier album, Queen of Siam, en 1986, chez Aaarrg Records. S'ensuivent plusieurs pièces majeures qui vont construire la renommée du groupe, entre 1987 et 1994, année de sa séparation, notamment l'œuvre maîtresse qu'est Finished With the Dogs, en 87, sans doute l'opus le plus accompli des allemands, qui contient quelques bombes incendiaires comme Fortress of Desperation, Rest in Pain et Life's Destroyer, véritables hymnes thrash intemporels qui n'ont pas pris une ride de nos jours. Holy Moses se reforme en 2000 avec Sabina comme seule membre originelle. Six albums paraîtront avant que la séparation ne soit définitive en 2023.



C'est en 1985 que l'on découvre Meanstreak. C'est alors la grosse surprise pour tout le monde, le groupe étant exclusivement composé de femmes, fait rare dans le paysage thrash metal de l'époque, alors qu'il était plus courant de voir des groupes féminins dans le hard rock ou le heavy metal. Le quintette est composé de Bettina France (chant), Rena Sands (guitare), Marlene Apuzzo (guitare, épouse de Mike Portnoy du groupe Dream Theater), Martens Pace (basse) et Diane Keyser (batterie) lorsque paraît Roadkill en 1988 (Mercenary Records), son premier et unique album dont la pochette représente un homme se faisant rouler dessus par une Cadillac. L'album contient huit morceaux d'une rare insolence, se nourrissant d'un thrash dopé au heavy et au speed metal. L'expérience dura neuf ans avant que le groupe ne décide de se séparer mais, ô surprise, une réunion eut lieu en 2022 avec quatre des cinq membres d'origine, ce qui résulta d'un EP, Blood Moon, sorti en 2024 et très différent du thrash des débuts.



C'est de Jonquière, un des trois arrondissements de la ville de Saguenay, au Québec, que débarque Messiah Force en 1984. Le thrash est alors en plein essor au Canada avec Sacrifice, Razor, Slaughter et suscite des vocations chez les jeunes désireux de se lancer dans l'arène (je vous renvoie par ailleurs à cet article pour en savoir plus sur la scène metal extrême de ce pays dans les années 80). Après une démo parue en 1985, le combo québécois se lance dans le grand bain deux ans plus tard avec la parution de The Last Day, son premier et seul album. L'effectif est alors une machine redoutable d'efficacité, composé de cinq musiciens dont une femme, la chanteuse Lynn Renaud, encore toute jeune à l'époque mais, déjà très impressionnante de par le chant clair qu'elle adopte sur des compositions combinant parfaitement l'énergie du speed et du power metal à celle du thrash. Hélas, l'aventure tourne court, Lynn étant obligée de prendre du recul en raison de problèmes de santé. Ne parvenant pas à trouver une nouvelle chanteuse pour la remplacer, le groupe finit par jeter l'éponge en 1991. Cependant, la vie réservant parfois des surprises, le lineup originel se reforme en 2022, avec Lynn Renaud. Il semblerait qu'il soit toujours actif aujourd'hui même si le groupe n'a rien sorti depuis l'année de son split.



Ice Age fait partie de ces rares groupes de thrash metal entièrement féminin à avoir réussi à percer dans les années 80. Cela impose d'autant plus le respect que le groupe fut fondé à Göteborg (sous le nom de Rock Solid), un des berceaux du death metal, en 1985, année où les premières formations death commençaient à pointer le bout de leur nez. C'est donc dans un environnement très masculin que les quatre jeunes femmes se lancent. Lorsque la première démo, General Alert, paraît en 1987, le combo se compose de Sabrina Kihlstrand au chant et à la guitare, Vicky Larsson à la basse, Tina Strömberg à la batterie et Pia Nyström à la guitare. Dès cette première démo, le quatuor s'inscrit dans un thrash crasseux et jouissif clairement orienté punk et speed metal. Une ligne dont il ne déviera pas sur les enregistrements suivants, notamment la démo Instant Justice parue en 1987, véritable crachat aux institutions et à l'ordre établi qui fit la réputation du groupe. L'aventure s'arrête net en 1990 alors que la formation n'a sorti aucun album. Cependant, Sabrina et Vicky sortent Ice Age de sa forteresse de glace en 2014 lors d'une renaissance qui donnera lieu à un premier opus, le bien nommé Breaking the Ice, en 2017.


DEATH YELL - CONJURING ASMODEUS' SEED


Nous voici face à un monument de la scène metal extrême underground, tellement underground que depuis sa fondation en 1989, il n'a sorti qu'un album en 2017 (bientôt deux avec celui qui arrive), j'ai nommé Death Yell. Toujours emmené par trois de ses membres d'origine plus de trente-cinq ans plus tard, le groupe de Santiago du Chili revient avec Demons of Lust  qui va paraître le 28 novembre via le label Hells Headbangers Records. Sur le morceau Conjuring Asmodeus' Seed, le combo latino nous rappelle combien il excelle dans la pratique d'un blackened death metal old school violent et pestilentiel en conviant à sa table Sarcofago, Holocausto et Beherit. Nous voici prévenus.

TERROR CORPSE - SONS OF PERDITION


Terror Corpse n'aura pas mis longtemps à se faire un nom sur la scène death metal. Il faut dire que nous avons affaire ici à une sorte de "supergroupe" comprenant des membres appartenant ou ayant appartenu à de solides formations comme Necrofier, Malignant Altar, Insect Warfare, Eternal Champion ou Oceans of Slumber. Résultat des courses, après un EP paru au printemps dernier, Systems of Apocalypse, le combo va sortir son premier album, Ash Eclipses Flesh, le 21 novembre chez Dark Descent Records. À l'écoute de Sons of Perdition, premier morceau extrait du dit opus, on sent une production solide et millimétrée au service d'un death sombre et oppressant digne de la vieille école des années 90. À suivre... 

CHAINED TO THE DEAD - JUST BEFORE DAWN


Nous avions dit dans cet article tout le bien que nous pensions de Chained to the Dead et nous n'allons certainement pas retourner notre veste tandis qu'approche à grands pas la sortie du nouvel EP des résidents du New-Jersey, Something Happened on the Way to Hell, le 31 octobre (jour d'Halloween, cela va de soi, pour un groupe qui baigne dans l'ambiance des films d'horreur) chez Horror Pain Gore Death Productions. On retrouve donc sur le single Just Before Dawn le goût prononcé du quatuor pour un deathgore des familles, old school dans l'esprit, proche de Necrophagia et délicieusement jouissif, la pochette du mini album étant le petit plus qui fait toujours plaisir.

lundi 27 octobre 2025

VIDÉO : DRUDENSANG - BLUTKREYS TEUFELEY


Humble serviteur d'un black metal sincère et authentique depuis plus de quinze ans (à l'époque où il s'appelait encore Blackhorned Wargoat puis Ravnsvart), Drudensang est réapparu cette année avec un nouvel EP, Geysterzvvang, édité par le label berlinois Folter Records, spécialiste des arts noirs. Dans un clip à l'ambiance cinématique conçu pour le morceau Blutkreys Teufeley, les bavarois démontrent une nouvelle fois leur aisance dans la pratique épurée d'un black mélodique aux accents mystiques. Un très beau clip que vous pouvez visionner ci-dessous.

CHRONIQUES DE LA FOSSE : MORBIFIC - BLOOD OF THE ABNORMAL FLESH (2025)


Selon la définition la plus courante, on entend par "underground" toute production culturelle et artistique à caractère expérimental, située en marge des courants dominants et diffusée par des circuits indépendants des circuits commerciaux ordinaires. Dans le domaine musical, ces circuits peuvent être très variés, allant de la musique électronique à la musique classique dite contemporaine (en incluant toutes les sous-divisions que ces mouvements comportent) au metal. Ce site étant essentiellement consacré au metal extrême en général et au death metal en particulier, posons-nous la question suivante : à partir de quand peut-on dire qu'un groupe ou un album de death metal est underground ? Des éléments de réponse sont bien entendu contenus dans la définition même de l'underground évoquée quelques lignes plus haut. Mais, ce serait céder à la facilité de s'arrêter au contenu d'un concept en se contentant d'énumérer ses caractères, le death metal underground possédant une identité lui étant propre qui dépasse le simple cadre de ce qui revêt une nature expérimentale. Au-delà de l'aspect purement sonore de la chose, tout est également question d'ambiance et de la façon avec laquelle celle-ci est structurée.

Morbific propose justement une ligne directrice nous permettant de mieux définir ce qu'est l'essence même du death metal underground, autrement dit, d'appréhender, de toucher du doigt ces éléments dont on ne soupçonne pas l'existence au premier abord car, cachés dans des structures, comme la mystérieuse matière noire indétectable qui compose quatre-vingt dix pour cents de l'univers. Depuis, Kitee, petite ville de l'est de la Finlande peuplée de moins de dix milles habitants, située à quatre cents bornes d'Helsinki, à la frontière avec l'imposant voisin russe, Morbific s'évertue depuis cinq ans à explorer les couloirs sombres de l'underground. Mieux encore, le trio fondé en 2020 par les frères Väkeväinen (Olli et Onni) et Jusa Janhonen (membre de Sadistic Drive) semble vouloir en redéfinir le genre. Dès son premier album, Ominous Seep of Putridity, sorti en 2021, Morbific développait les bases de son death horrifique, posé sur les fondations de la vieille école du style mais, avec une approche néanmoins différente résultant d'une instrumentation très lourde, au rythme volontairement brisé que portait un chant guttural très profond, comme provenant des tripes ou du fond d'un caveau suintant la boue et la pestilence, pour reprendre des termes plus imagés et plus typiques. Un an plus tard, sur Squirm Beyond the Mortal Realm, le groupe allait reprendre exactement la même formule, le tout dans une ambiance encore plus glauque, ce qui allait lui valoir l'attrait du label espagnol Memento Mori qui se chargea d'éditer la galette.

Pour Blood of the Abnormal Flesh, leur dernière offrande en date parue au printemps dernier par le biais d'une collaboration entre Memento Mori et Me Saco Un Ojo Records, les Nordiens ont cette fois-ci pris le temps de faire mariner leurs compositions. Un peu plus de deux ans de gestation ont été nécessaires avant que la recette ne soit sortie du four. Il en résulte onze morceaux imprégnés d'un death méphitique qui demande à l'auditeur des capacités mentales d'une irréprochable solidité tant l'écoute de cet album est une redoutable épreuve pour le commun des mortels. Dès le premier morceau, Smut Club (For the Chosen Scum), on prend conscience que les dès sont déjà jetés et que la partie s'annonce rude. Riffs robustes, basse très grasse, chant d'outre-tombe, la structure alambiquée du morceau révèle un rythme saccadé fait de contournements et de twists capables de désarçonner les metalleux les plus aguerris. Comme beaucoup de ses aînés originaires de Finlande, Morbific prend un malin plaisir à casser le rythme pour mieux nous surprendre, d'autres morceaux comme Menagerie of Grotesque Trophies ou Crusading Necrotization en étant révélateurs. À cela s'ajoute des élans d'inspiration que le trio va puiser chez de légendaires formations comme Deteriorot, Grave ou Rottrevore (influences que l'on retrouve notamment sur des morceaux chaotiques comme Panspermic Blight et Promethean Mutilation), sans oublier les combos finnois qui firent la renommée du pays il y a trente ans tels que Disgrace ou Funebre (dont l'impact se ressent sur Womb of Deathless Deterioration (Trapped in the Essence of Putrescence) et Slithering Decay, petit bijou d'impertinence old school refermant l'opus). Mais, c'est surtout sur l'abrasif Hydraulic Slaughter, morceau désinvolte et arrogant directement en hommage aux vieux codes du death de la fin des années 80, que l'on sent cette très présente influence nordique, finlandaise en particulier. Enfin, on n'oubliera pas d'ajouter à ce recueil cryptique et malfaisant l'étonnante qualité de la production pour quelque chose d'aussi underground (comme quoi, les deux peuvent très bien s'agencer), ainsi que le superbe artwork, travail à saluer, de l'artiste Chase Slaker, guitariste de Mortiferum et de Caustic Wound, qui avait déjà apporté sa contribution sur les deux précédents albums du combo.

Comprenez bien, au final, que Blood of the Abnormal Flesh n'est pas que le résultat d'un réseau d'influences s'appuyant sur la vieille école du death. C'est aussi le fruit d'un travail profond et sincère, tant au niveau de l'instrumentation que des paroles (prenez surtout le temps de les lire attentivement pour vous faire idée précise) qui a permis à Morbific de sonder les profondeurs les plus obscures de l'underground, comme rarement un groupe de death l'avait fait jusqu'à maintenant (sans doute pas depuis les années 90, en tout cas). Il en résulte un album titanesque aux ramifications abyssales, redéfinissant la structure même de ce qu'est l'underground et s'inscrivant sans aucun doute parmi les meilleurs opus parus cette année.

CHRONIQUES DE LA FOSSE : MANTIEL - ODES PAST & MYSTICISM FROM THE SOUTHERN LANDS (2024)


La branche "ambient" du black metal continue d'attirer les curieux de par sa particularité à rendre le black plus accueillant, pourrait-on dire. Si la formule a tendance à tourner en rond, elle n'en demeure pas moins intéressante lorsque l'ambient et le "raw" black metal, c'est-à-dire le black pur et dur tel qu'il était pratiqué au début des années 90, sous l'influence grandissante de la Norvège, se rencontrent. On peut alors obtenir un subtil dosage balançant avec fragilité entre l'ambiance atmosphérique teintée de mysticisme et d'amertume du black ambient et la rage, les hymnes guerriers, les psaumes sataniques du raw black metal. Il faut juste savoir trouver l'équilibre précaire entre les deux afin d'obtenir une mixture susceptible de tenir la distance.

Propulsé en 2018 par un artiste multi-instrumentiste possédant de nombreux projets parallèles, du nom de Lord Valtgryftåke, Mantiel (que l'on nommera ici sous la dénomination de Mánþiel), s'évertue depuis ses débuts à perpétuer la tradition du genre au travers d'albums qui sont autant de chapitres renfermant des odes sombres et occultes en hommage à l'art noir. Hyperactif, ce chilien a déjà sorti sept albums, dont deux l'année dernière en comptant celui dont il est question ici, Odes Past & Mysticism From the Southern Lands, que le label lituanien Inferna Profundus Records, spécialiste du black underground, a édité. Mánþiel ne cherche pas à réinventer les choses. Son truc, ce sont de longs morceaux approchant ou dépassant les dix minutes, comme de longs et sinueux chemins que le promeneur solitaire arpente par les matins brumeux d'automne, avec pour seuls compagnons les arbres dénudés se dressant tels des spectres figés par le froid. D'un point de vue musical, l'artiste excelle dans la pratique d'un black de la vieille école, aussi radical que glacial, dans lequel il incorpore des éléments mélodiques qui donnent ce côté ambient. Il plante le décor sur un premier morceau au chorus entêtant, Old Sacred Monasteries (Monument of Dead in the Grave) en dosant très bien l'ambient et le black dans une rage contenue, avant que le titre suivant, Nocturnal Palace of the Funeral Circle ne se conclue par une longue plage de clavier mélancolique, tel un poème adressé à la nature ou aux esprits mystiques peuplant les forêts. Si la ritournelle peut éventuellement virer à l'ennui sur Remained a Ghost Forever, dont la longueur (plus de douze minutes) et la répétitivité peuvent lasser, l'homme sait se reprendre en convoquant les entités maléfiques sur le remarquable Ravens of Perpetual Hymns dont les riffs tranchants renouent avec un black plus brutal, plus viscéral. Un changement de cap bienvenu avant un Emissaries of the Past (Ancient Ruins 1675) qui conclut le disque mollement, par une plage instrumentale et acoustique dont l'artiste aurait sans doute pu se passer.

Qu'à cela ne tienne, Odes Past & Mysticism from the Southern Lands contient tous les ingrédients qui permettent d'en faire un album de black metal ambient que les vrais amateurs du style sauront sans doute apprécier, tandis que les néophytes, se perdront, par curiosité, sur ces sentiers serpentant à travers les insondables ténèbres.

INTO THE CRYPT : MORTIFEROTH - ... TO THE ABYSS


Ah tiens, au fait, ça vous est venu comment la passion du death metal ? Qu'est-ce qui a allumé la mèche ? Pour ma part, ce fut un long cheminement, bien qu'assez naturel en y réfléchissant bien. Adolescent, j'écoutais du grunge puis, quand j'en ai eu marre du grunge, je suis rentré dans une période punk rock qui a peut-être duré un ou deux ans, aussi loin que je me souvienne, avant d'écouter du thrash metal. C'est après ça que les éléments ont commencé à s'agencer. Le thrash m'a naturellement amené vers le death et le black avant que le death metal ne prenne une place importante dans ma vie, qu'il occupe toujours aujourd'hui. Morbid Angel, Massacre, Obituary furent mes premiers gros chocs émotionnels. Puis vinrent Immolation, Incantation et la scène européenne bien sûr, scandinave en particulier, avec Dismember et Grave. Avec le recul et la maturité qui fait de moi aujourd'hui le vieux briscard de cinquante balais que je suis (que ça passe vite), je me rends compte que rien ne me rend plus heureux que d'écouter du death metal old school. C'est comme l'effet d'une drogue dont je ne peux me passer. Ma dépendance à la vieille école est telle que je n'écoute quasiment plus que ça aujourd'hui, à de très rares exceptions. Le plus drôle dans l'histoire, c'est qu'il m'arrive encore de tomber sur des pépites, des groupes dont je ne soupçonnais pas l'existence et qui viennent alimenter ma collection et approfondir un peu plus mes connaissances sur l'histoire du death metal. Mortiferoth est de ceux-là.

Bien qu'il ait dix ans d'existence au compteur, ce groupe ne figure pas parmi les plus connus de la scène death metal de la côte est des États-Unis. Fondé en 2015 dans le quartier du Queens, à New-York, Mortiferoth, qui compte dans ses rangs le musicien Brian Hobbie, ex-Internal Bleeding et qui accompagna un temps Vital Remains sur scène, n'a encore sorti aucun album à ce jour, les gars étant plutôt du genre à traîner dans les bas-fonds de l'underground de Big Apple. Depuis, le trio n'a pas chômé. En 2021, il s'est associé avec un petit label indépendant du nom de Hail Shitar Records, basé à New-York, sur lequel il fit paraître son premier EP, Fatal Spiritual Failures. Sans doute boosté par cette collaboration, le groupe eut la bonne idée, la même année, d'éditer sous forme de compilation en version CD ses trois premières démos parues respectivement en 2017, 2019 et 2020 dans la plus grande confidentialité. Puis, il retrouva le label Hail Shitar Records qui publia en 2023 son dernier méfait en date, ... To the Abyss, un EP 5 titres qu'on peut toujours se procurer en vinyle ou cassette en passant par le Bandcamp de la formation.

Si j'ai vraiment accroché à ce groupe, c'est pour la simple et bonne raison que le style qu'il pratique s'apparente à la scène old school du tout début des années 90 sous forme d'un hommage non dissimulé à tous les combos de légende qui sévissaient à cette époque. Si vous prenez le dernier EP en date, par exemple, vous y entendrez des morceaux brut de décoffrage qui ne font pas dans la demi-mesure, agrémentés de riffs saignants, d'une base rythmique percutante et de solos de guitares assassins à vous retourner le cerveau, convoquant les vieux démons du death de la grande époque. Bref, si le death authentique est la seule chose qui vous fait vibrer en ce monde, Mortiferoth ne peut que vous plaire. Vous allez donc me faire le plaisir de les soutenir comme il se doit en les écoutant et en faisant passer le mot autour de vous. Reste à espérer que l'aventure se poursuive et que les new-yorkais aient encore de belles choses à nous proposer dans un futur proche. 


TENEBRO - IMPICCATA


Il est donc acté, et nous en sommes particulièrement ravis, cela va de soi, que Tenebro va sortir le 12 décembre prochain son troisième album studio. Intitulé Una Lama d'Argento, l'opus, qui sera édité en CD, vinyle et cassette par le label romain Time To Kill Records, sera un hommage au réalisateur Dario Argento à qui l'on doit quelques chefs-d'œuvre du cinéma d'épouvante tels que Suspiria, Inferno ou Ténèbres. Pas surprenant donc, de la part d'un groupe demeurant très attaché depuis ses débuts il y a vingt-cinq ans au cinéma d'horreur des années 70 et 80. Tenebro nous offre un aperçu de ce nouveau chapitre avec Impiccata, morceau s'inscrivant dans la veine death old school horrifique qui a fait sa réputation.

samedi 25 octobre 2025

INTO THE CRYPT : DEAD AEON MIST


Mon admiration sans bornes pour la scène death metal transalpine m'a amené récemment sur les pas de Dead Aeon Mist, groupe originaire de Modène, sorti de terre en 2024. Première chose importante à savoir avant d'aller plus loin. Le trio compte dans ses rangs Daniele Lupidi et Massimiliano Elia. Si ces noms ne vous disent rien, c'est dommage pour vous car vous passez à côté d'un des plus grands groupes de death metal italien que ce monde ait porté, j'ai nommé Valgrind, dont les deux lascars sont membres. Fondé à Bologne en 1996, Valgrind est une légende vivante, une institution, un pilier de la scène metal extrême transalpine. Par conséquent, si vous n'avez encore rien écouté d'eux jusqu'à maintenant, il va falloir sérieusement penser à effectuer une mise à jour.

Mais, revenons à nos moutons. En comparaison à son glorieux aîné, Dead Aeon Mist se situe dans une veine plus death/doom à l'ambiance cryptique, les trois morceaux composant cette première démo éponyme ayant chacun des attraits qui leur sont propres. Demon Sultan of Chaos dégage une formidable impression de puissance portée par des riffs écrasants qui vous collent des frissons dès l'introduction avant que le rythme ne s'accélère subitement. Un rythme que le trio sait parfaitement contrôler dans ses cassures. Tantôt rapide, tantôt plus lent, le groupe joue avec nos nerfs, répétant cette méthode avec une certaine maestria sur le titanesque Through A Merciless Eternity, dont la créativité laisse pantois. Puis, la démo s'achève sur un As Dust Ascends plus court, déferlant comme un torrent en furie, agrémenté ça et là d'une guitare aux sonorités parfois cosmiques.

L'alchimie entre death et doom atteint un niveau remarquable sur cette démo certes très courte mais, qui laisse tout de même le temps à l'auditeur de s'imprégner de l'ambiance cauchemardesque qui règne, ancrée dans un monde lovecraftien qui, à n'en pas douter, va ravir au plus haut point les amateurs du genre. Sachez que cette démo a été éditée au format cassette audio en septembre dernier par le label milanais Unholy Domain Records (à cent copies seulement) pour la modeste somme de huit euros. Chaudement recommandé en préparation des froides soirées d'automne qui s'annoncent.