Quand le death metal a commencé à creuser son sillon aux États-Unis, vers le milieu des années 80, le voisin canadien a logiquement été impacté par le phénomène. On entend souvent dire dans les coursives que Sarkasm, de par son exceptionnelle longévité (le groupe de vétérans québécois va sortir un nouvel album le mois prochain) est l'un des principaux influenceurs du genre au pays de la feuille d'érable. Sans vouloir manquer de respect à ces légendes vivantes, ce n'est pas tout à fait vrai. En réalité, le quintette de Granby s'est immiscé dans la brèche que des formations, disparues depuis longtemps pour certaines, avaient ouverte cinq ans avant que Sarkasm ne soit fondé, même si l'inoxydable Bruno Bernier, le chanteur du groupe, mettait déjà la main à la pâte dans les années 80 avec son projet death/thrash technique Obliveon. Il est donc temps de remettre un peu d'ordre dans tout ça en évoquant la mémoire de ces groupes canadiens précurseurs et influents.
Impossible de ne pas commencer par ceux dont beaucoup s'accordent à dire qu'il ont été parmi les tous premiers à influencer la scène, j'ai nommé Slaughter. Le sujet peut éventuellement prêter à discussion car, si vous écoutez les premiers enregistrements du groupe fondé en 1984 à Toronto, vous n'avez pas l'impression d'écouter du death metal mais, plutôt quelque chose qui s'apparenterait à du thrash très speed et très punk, un truc bodybuildé sous amphétamines, nerveux et rugueux. Quand le groupe démarre sa carrière, il est alors composé de trois membres : Dave Hewson au chant et à la guitare, Ron Summers à la batterie et surtout, Terry Sadler à la basse, musicien versatile (qui va fêter ses soixante-cinq balais en février) passé notamment par des groupes comme Metallion et Riff Raff. Certes, le trio était résolument thrash/punk dans son approche, aucun doute là-dessus. Cependant, et je m'adresse ici à ceux qui ont l'oreille la plus fine, vous allez voir qu'en écoutant les deux brûlots incendiaires que sont les démos Bloody Karnage (1984) et Surrender or Die (1985), sur lesquelles on trouve de remarquables pépites telles que Incinerator, One Foot in the Grave ou Shadow of Death (morceaux qui préfiguraient l'album culte Strappado sorti en 1987 sur le label Diabolic Force), on entend dans les différentes sections des sonorités nous amenant vers un thrash plus bourru lorgnant vers un death/thrash très primitif. On peut donc dire que dès 1984, une première porte s'ouvrait vers une évolution de la scène extrême du pays.
Durant la même période, d'autres formations ont commencé à arriver du Québec. Fondé la même année que Slaughter, à Saguenay, Voor plante une banderille en 1985 avec Evil Metal, sa première démo. Le quatuor y pose quatre morceaux dantesques, plus une reprise du Bloodlust de Venom, pile dans le style thrash/punk de leurs compères de Slaughter, percutant, incisif, qui vous mord la peau jusqu'au sang. Une démo rageuse, de pure folie, qui s'articule là aussi autour d'un death/thrash tout ce qu'il y a de plus primal et instinctif. Sylvain Gilbert, le guitariste, demeure le dernier membre originel du combo, toujours actif aujourd'hui avec un lineup renouvelé.
Même période, même région, le prolifique Québec sortit Deadly Manover de son chapeau en 1986 depuis la commune de Châteauguay. D'abord, pour la petite histoire, un guitariste du nom de Sylvain Marcoux fit un bref passage dans ce groupe avant d'intégrer Gorguts en 1989. Celui-ci, en revanche, ne participa pas à la conception de Deathology, seul et unique témoignage discographique du combo sorti en 1987. Cette démo portait plutôt bien son titre. Composée de cinq morceaux dont un instrumental, elle obliquait dans une autre direction que celle des deux formations précédemment citées en étant bâti sur un tempo plus lent, plus saccadé mais, ne s'éloignant pas pour autant de façon radicale du thrash/punk populaire de cette période. Néanmoins, les arrangements montraient bien que Deadly Manover avait pour ambition de partir dans un autre trip avec une musique plus proche d'un death/thrash classique agrémenté de quelques parties un peu plus techniques, comme l'on peut s'en rendre compte sur le morceau qui a donné son titre à la démo. Un virage très intéressant donc, mais au prix, hélas d'une existence très courte puisque le groupe s'évapora dans la nature après la parution de ce classique. Son chanteur/bassiste, Dan Tremblay, n'est d'ailleurs plus de ce monde.
Bien avant que Bruno Bernier (évoqué en introduction) n'intègre l'effectif en 1994, Obliveon naquit sous le nom d'Oblivion (attention à l'orthographe). En 1987, le groupe, qui était un trio dont le chanteur et bassiste se faisait appeler Big Foot (Stéphane Picard de son vrai nom), sortait sa première démo éponyme. L'on sentait alors déjà sur les six morceaux qui la composaient la technicité assez stupéfiante pour l'époque dont faisaient preuve les musiciens. Chaque composition nous entraînait clairement vers ce qu'allait devenir le combo au début des années 90, à savoir un groupe de death/thrash technique et aventureux naviguant à contre-courant. Il n'y eut hélas que ceci d'intéressant dans la carrière de cette formation créative qui vira plus tard groove metal puis, metal indus vers la deuxième moitié des années 90. Tout de même, on peut dire qu'Oblivion (ou Obliveon) ouvra sans doute un nouveau créneau dans le death metal canadien en se démarquant totalement de la concurrence.
Overthrow vit le jour en 1987 dans l'Ontario et eut une durée de vie de quatre ans avant de raccrocher, juste le temps de sortir un album, Within Suffering, en 1990 sur le label Epidemic Records, précédé d'une démo, Bodily Domination, parue en 1989 sur le même label. On y trouvait des musiciens aguerris, comme le guitariste Ken Wakefield qui joua un temps dans un groupe thrash metal local du nom de Dark Legion, et surtout le bassiste Nick Sagias qui fit un passage très rapide en 1990 chez Pestilence et qui évolue toujours aujourd'hui au sein de Tribe of Pazuzu avec John McEntee (Incantation) et Flo Mounier (Cryptopsy). Vous imaginez donc bien que ce groupe n'allait pas faire dans l'amateurisme. Que ce soit sur la démo ou l'album, le style était impeccable et leur death/thrash, sans doute un peu plus thrash que death, d'une application à se damner, solide dans tous les compartiments, furieusement old school et très inspiré des premières salves de Sacrifice, Morbid Saint et Devastation. Du grand ouvrage qui aurait largement mérité une attention plus grande si le groupe avait vécu plus longtemps.
Dernier détour par le Québec avec Anthagonist, quatuor né en 1987 et qui publia trois démos de son vivant, dont Enigmatic Pleasure of Death, la première, en 1989. Sept titres pour environ trente minutes d'écoute au total, on ne se fichait pas de la gueule du client ici d'autant plus qu'on rentrait dans du death d'obédience scandinave, calibré à la finlandaise, très soutenu et très sombre mais, avec quelques passages plus groovy, voire même thrash/punk. Ce qui est fort d'ailleurs est qu'il pouvait y avoir toutes ces influences musicales compactées sur un même morceau. À mes yeux, une des démos de death metal les plus abouties des années 80 par un groupe canadien.
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