lundi 27 octobre 2025

CHRONIQUES DE LA FOSSE : MORBIFIC - BLOOD OF THE ABNORMAL FLESH (2025)


Selon la définition la plus courante, on entend par "underground" toute production culturelle et artistique à caractère expérimental, située en marge des courants dominants et diffusée par des circuits indépendants des circuits commerciaux ordinaires. Dans le domaine musical, ces circuits peuvent être très variés, allant de la musique électronique à la musique classique dite contemporaine (en incluant toutes les sous-divisions que ces mouvements comportent) au metal. Ce site étant essentiellement consacré au metal extrême en général et au death metal en particulier, posons-nous la question suivante : à partir de quand peut-on dire qu'un groupe ou un album de death metal est underground ? Des éléments de réponse sont bien entendu contenus dans la définition même de l'underground évoquée quelques lignes plus haut. Mais, ce serait céder à la facilité de s'arrêter au contenu d'un concept en se contentant d'énumérer ses caractères, le death metal underground possédant une identité lui étant propre qui dépasse le simple cadre de ce qui revêt une nature expérimentale. Au-delà de l'aspect purement sonore de la chose, tout est également question d'ambiance et de la façon avec laquelle celle-ci est structurée.

Morbific propose justement une ligne directrice nous permettant de mieux définir ce qu'est l'essence même du death metal underground, autrement dit, d'appréhender, de toucher du doigt ces éléments dont on ne soupçonne pas l'existence au premier abord car, cachés dans des structures, comme la mystérieuse matière noire indétectable qui compose quatre-vingt dix pour cents de l'univers. Depuis, Kitee, petite ville de l'est de la Finlande peuplée de moins de dix milles habitants, située à quatre cents bornes d'Helsinki, à la frontière avec l'imposant voisin russe, Morbific s'évertue depuis cinq ans à explorer les couloirs sombres de l'underground. Mieux encore, le trio fondé en 2020 par les frères Väkeväinen (Olli et Onni) et Jusa Janhonen (membre de Sadistic Drive) semble vouloir en redéfinir le genre. Dès son premier album, Ominous Seep of Putridity, sorti en 2021, Morbific développait les bases de son death horrifique, posé sur les fondations de la vieille école du style mais, avec une approche néanmoins différente résultant d'une instrumentation très lourde, au rythme volontairement brisé que portait un chant guttural très profond, comme provenant des tripes ou du fond d'un caveau suintant la boue et la pestilence, pour reprendre des termes plus imagés et plus typiques. Un an plus tard, sur Squirm Beyond the Mortal Realm, le groupe allait reprendre exactement la même formule, le tout dans une ambiance encore plus glauque, ce qui allait lui valoir l'attrait du label espagnol Memento Mori qui se chargea d'éditer la galette.

Pour Blood of the Abnormal Flesh, leur dernière offrande en date parue au printemps dernier par le biais d'une collaboration entre Memento Mori et Me Saco Un Ojo Records, les Nordiens ont cette fois-ci pris le temps de faire mariner leurs compositions. Un peu plus de deux ans de gestation ont été nécessaires avant que la recette ne soit sortie du four. Il en résulte onze morceaux imprégnés d'un death méphitique qui demande à l'auditeur des capacités mentales d'une irréprochable solidité tant l'écoute de cet album est une redoutable épreuve pour le commun des mortels. Dès le premier morceau, Smut Club (For the Chosen Scum), on prend conscience que les dès sont déjà jetés et que la partie s'annonce rude. Riffs robustes, basse très grasse, chant d'outre-tombe, la structure alambiquée du morceau révèle un rythme saccadé fait de contournements et de twists capables de désarçonner les metalleux les plus aguerris. Comme beaucoup de ses aînés originaires de Finlande, Morbific prend un malin plaisir à casser le rythme pour mieux nous surprendre, d'autres morceaux comme Menagerie of Grotesque Trophies ou Crusading Necrotization en étant révélateurs. À cela s'ajoute des élans d'inspiration que le trio va puiser chez de légendaires formations comme Deteriorot, Grave ou Rottrevore (influences que l'on retrouve notamment sur des morceaux chaotiques comme Panspermic Blight et Promethean Mutilation), sans oublier les combos finnois qui firent la renommée du pays il y a trente ans tels que Disgrace ou Funebre (dont l'impact se ressent sur Womb of Deathless Deterioration (Trapped in the Essence of Putrescence) et Slithering Decay, petit bijou d'impertinence old school refermant l'opus). Mais, c'est surtout sur l'abrasif Hydraulic Slaughter, morceau désinvolte et arrogant directement en hommage aux vieux codes du death de la fin des années 80, que l'on sent cette très présente influence nordique, finlandaise en particulier. Enfin, on n'oubliera pas d'ajouter à ce recueil cryptique et malfaisant l'étonnante qualité de la production pour quelque chose d'aussi underground (comme quoi, les deux peuvent très bien s'agencer), ainsi que le superbe artwork, travail à saluer, de l'artiste Chase Slaker, guitariste de Mortiferum et de Caustic Wound, qui avait déjà apporté sa contribution sur les deux précédents albums du combo.

Comprenez bien, au final, que Blood of the Abnormal Flesh n'est pas que le résultat d'un réseau d'influences s'appuyant sur la vieille école du death. C'est aussi le fruit d'un travail profond et sincère, tant au niveau de l'instrumentation que des paroles (prenez surtout le temps de les lire attentivement pour vous faire idée précise) qui a permis à Morbific de sonder les profondeurs les plus obscures de l'underground, comme rarement un groupe de death l'avait fait jusqu'à maintenant (sans doute pas depuis les années 90, en tout cas). Il en résulte un album titanesque aux ramifications abyssales, redéfinissant la structure même de ce qu'est l'underground et s'inscrivant sans aucun doute parmi les meilleurs opus parus cette année.

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