LA PETITE TOUCHE FRANÇAISE.
On va dire les choses clairement. S'il y eut bien en France un engouement pour le death metal dont on peut situer les origines au cours de la seconde moitié des années 80, ce ne fut pas une vague déferlante comparable à celles que subirent les États-Unis ou la Suède durant la même période. Quand la musique disco a entamé son déclin à la fin des années 70, notre pays a commencé à se tourner vers les précurseurs de la musique électronique avant que la culture hip hop n'émerge quelques années plus tard. Avec cela, la variété française effectuait un tournant majeur, notamment sous l'influence de la pop et du rock qui allaient transfigurer le paysage musical dans l'hexagone avec comme aboutissement la création du Top 50. Le metal extrême s'est fatalement retrouvé noyé dans la masse malgré la popularité du thrash metal qui atteignait son apogée vers le milieu des années 80. Néanmoins, il y eut bien dans notre pays une émergence du death, à peu près à la même période, qu'il est important de ne pas négliger. Comme dans tous les styles musicaux, le death metal en France eut ses précurseurs. Si vous demandez à des spécialistes qui sont les pionniers du style, ils vous répondront sans doute Loudblast, Agressor, Massacra, No Return ou Mercyless, et ils ont bien raison. Cependant, si l'on prend le temps de fouiller un peu plus, on découvre assez vite que d'autres groupes français, dont la grande majorité ont disparu depuis longtemps, ont participé à cet effort. Ainsi, mes recherches m'ont amené à redécouvrir deux formations dont j'avais oublié l'existence, à commencer par Mutilated. Fondé à Bourg-en-Bresse en 1987 sur les cendres d'un projet death/thrash du nom de Mutilator, Mutilated débuta sous la forme d'un duo de musiciens composé de Michel Dumas et François Dauvergne. À eux deux, ils composèrent trois morceaux qu'ils inclurent dans une démo parue en juin 1988, intitulée Psychodeath Lunatics. Mutilated va alors se tailler une solide réputation de groupe français le plus extrême de l'époque et cette démo en fut sans aucun doute le révélateur. Dès les premières notes de The Crown of Death, on est entraîné dans un amplificateur de douleur par un Michel Dumas aux vocaux démoniaques, torturant sa guitare, tandis que François Dauvergne s'acharne comme un dément sur les fûts en envoyant des blast beats d'une rare violence qui viennent se loger dans le bas-ventre. Funerarium déferle ensuite comme une vague en furie avec sa rythmique très thrash portée par un solo de guitare de classe mondiale avant que Hysterical Corpse Dislocation n'achève les derniers survivants. Onze minutes au total d'un death cataclysmique ne cédant pas un pouce de terrain, blindé comme un char d'assaut de dernière génération et principal témoignage d'un groupe qui, bien que disparu trop tôt, n'en demeurait pas moins un fer de lance du death français de la fin des années 80.
Au cours de cette même année 1988, sept ans avant qu'ils ne posent leurs valises, pour un temps, chez Mercyless, Pierre Lopez et David Kempf cofondent un projet baptisé Mestema, à Illzach, dans l'agglomération mulhousienne. Avec deux autres artistes, ils dévoilent leur première démo, Horrifying Sight, en février 1990. Très porté sur les sujets politiques et sociétaux, le groupe s'emploie à entremêler death et thrash sur cinq morceaux redoutables d'efficacité dont les fondations reposent sur un chant guttural d'une exceptionnelle qualité, typiquement old school et renforcé par d'imposantes sections dans l'instrumentation, aussi bien chez les cordes qu'à la batterie, avec des séquences d'une technicité de haut vol (Dissilution, le morceau qui ouvre la démo, est une pièce de choix à vous faire décoller du sol). Comme chez Mutilated, on retrouvait chez Mestema cette impression de puissance écrasante, cette envie d'en découdre sans faire de concession et cette ambiance très malsaine que le thrash et le punk influençaient beaucoup. Dommage que le groupe ait fini par se disloquer dans une quasi indifférence deux ans après cette démo monumentale que l'on peut ranger parmi les compositions majeures de l'époque, dans les archives du death français.
NECROSIC, UN POTENTIEL GÂCHÉ.
Mutilated et Mestema étaient le reflet d'une époque de changement, celle des années 80. On imagine le chemin que les deux formations françaises auraient pu parcourir si leur carrière s'était inscrite dans la durée, ce qui ne fut pas le cas. Bien plus tard, aux États-Unis, Necrosic connut ce destin contrarié de carrière raccourcie. Fondée en 2013 à Oakland, Californie, la formation, qui vit passer dans ses rangs l'ex-Autopsy Frank Migliore et l'ex-Funeral John Schafer, allait être considérée comme ce qu'on a coutume d'appeler dans le milieu un "super-groupe". L'effectif était notamment composé de Charles Coryn, membre d'Ascended Dead, Erika Osterhout, impliquée en tant que bassiste dans Scolex, mais surtout Sean McGrath (très actif dans Ghoul et Impaled) et Eric Cutler cofondateur du groupe Autopsy. Pas étonnant, du coup, que le groupe californien mit près de trois ans à concevoir sa première œuvre musicale, l'EP Putrid Decimation, paru le 5 avril 2016 sur le label Nuclear War Now! Productions. Ce que l'on savait moins, en revanche, c'est que ce témoignage discographique, édité au format vinyle, allait être aussi le dernier du groupe avant que celui-ci ne devienne silencieux. Depuis, plus rien. Si aucune séparation n'a été officialisée, le statut de la formation américaine demeure inconnu. C'est là sans doute l'une des conséquences que d'être un "super-groupe". Chaque membre est tellement accaparé par d'autres projets qui lui semble plus important que tout ce qui vient en parallèle prend logiquement l'apparence d'un side project sur lequel on s'attarde moins. D'ailleurs, après la parution de Putrid Decimation, chacun s'est dirigé vers de nouveaux objectifs. Cutler s'est logiquement concentré sur son groupe de toujours, Autopsy, McGrath a continué avec Ghoul, dont il est toujours membre actif aujourd"hui, tandis que Charles Coryn et Erika Osterhout ont fini par rejoindre Chthonic Deity. Coryn s'est même impliqué dans Decrepisy et Funebrarum, alors que Osterhout a renforcé les rangs de Mortuous et Acephalix. Logiquement, je dirais même fatalement, Necrosic est passé au second plan. Une décision bien regrettable, un beau gâchis même car, Putrid Decimation avait vraiment de la gueule. Sur certains points, les quatre morceaux qui composent cet EP font beaucoup songer à un mélange entre Autopsy et Bolt Thrower. Squirming in your Guts, par exemple, est une superbe composition très inspirée du death metal de la vieille école, dont Putrid Decimation transpire par tous les pores. C'est du death solide, bien exécuté, conçu par des artistes qui se sont servis de toute leur expérience dans le milieu pour aboutir sur un travail sérieux et collectif. On ne peut donc être qu'atterré de voir une formation aussi prometteuse errer aujourd'hui quelque part entre les limbes et le purgatoire sans que l'on sache de quoi sera fait son avenir. Vu que huit ans se sont écoulés depuis cet enregistrement, l'humeur n'est pas à l'optimisme.
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