samedi 15 mars 2025

LE CULTE DE L'UNDERGROUND : DIVERSES REPRÉSENTATIONS DE L'ENTRÉE DES ENFERS DANS LA MYTHOLOGIE GRECQUE ET CE QUE LE DEATH METAL PEUT NOUS EN DIRE


Pendant très longtemps, les récits des poètes ont alimenté la mythologie grecque et romaine, en particulier ceux d'Homère ou d'Hésiode, sans oublier Virgile, pour ne citer que les plus réputés. Un des plus fascinants est le mythe d'Orphée, si bien déclamé par Virgile, justement, dans les Métamorphoses, son œuvre colossale. Le fils d'Œagre, roi de Thrace, et de la muse Calliope, réalisa un exploit remarquable en devenant l'un des rares mortels à accomplir la catabase, soit la descente du héros dans les mondes souterrains. Pour y accéder, Orphée utilisa sa lyre pour creuser une nouvelle entrée des Enfers afin d'y ramener son épouse Eurydice. S'il parvint jusqu'à elle, après avoir notamment endormi Cerbère, le monstrueux chien à trois têtes qui gardait l'entrée, puis amadoué le dieu Hadès lui-même, maître des Enfers, la suite fut hélas moins heureuse puisque le héros perdit à tout jamais sa bien-aimée sur le chemin du retour (je vous passe les détails du récit que vous pouvez lire à votre convenance). Si le cas d'Orphée demeure une particularité de par la méthode utilisée par le héros pour accéder aux bas-fonds, on trouve dans l'histoire de l'art des représentations plus conventionnelles des Enfers de la mythologie, notamment cette fameuse entrée qui a tant fasciné à travers les âges, autrement dit, le point exact séparant le monde des vivants de celui des morts. En peinture, deux œuvres, parmi tant d'autres, conservent encore aujourd'hui un attrait particulier, tout en étant diamétralement opposées d'un point de vue stylistique et de par l'histoire qu'elles racontent. D'un côté, la toile terrifiante que conçut le peintre néerlandais Jacob van Swanenburgh en 1625, représentant la descente d'Énée aux Enfers après la mort de son père (toile communément appelée La Barque de Charon) telle que la conta Virgile dans L'Énéide. De l'autre, celle plus apaisée (en apparence) de l'artiste belge Joachim Patinier (1480-1524) intitulée Charon traversant le Styx (que le natif de Bouvignes-sur-Meuse acheva l'année de sa mort, tout un symbole). Deux styles, deux écoles, comme on dit. Au chaos indescriptible de van Schwanenburgh (image ci-dessus) dépeignant une entrée telle un capharnaüm au milieu duquel s'entremêlent les corps dénudés que la barque de Charon, le passeur, déverse comme un camion-benne déchargeant des ordures, tandis que l'on distingue Énée au premier plan conduit dans la gueule béante des Enfers par la sibylle, Patinier (voir image ci-dessous) développait une approche typique de la Haute Renaissance nordique avec cette touche supplémentaire qui faisait son identité, notamment par l'utilisation de la perspective d'aspect. Le peintre wallon n'est pas considéré pour rien comme l'un des précurseurs du style paysage. Sous cette optique, la représentation prend une ampleur exceptionnelle que le fleuve Styx, point de passage des Enfers, ici plus majestueux que jamais, scinde en deux parties égales avec, d'un côté cette espèce d'entre-deux mondes où errent les âmes sans sépulture, luxuriant et baigné d'une lumière que l'on pourrait qualifier de divine, et de l'autre, les terres désolées et stériles de l'enfer, livrées aux flammes et à la destruction par lesquelles les morts accèdent par une entrée représentée ici par une tour que Cerbère garde en contrebas. Sur le fleuve, Charon dans sa barque, accompagnant un mort vers sa dernière demeure, apparaît tel que Sénèque le décrit dans sa tragédie Hercule furieux, "vieillard hirsute portant un manteau sale, guidant sa barque avec une longue perche".


Bien évidemment, la peinture n'est que l'un des aspects de l'influence qu'exerce la mythologie grecque et romaine sur l'art. Le cinéma, le théâtre et la musique (la musique baroque et classique en particulier) ont également participé à cet essor. De même que le death metal. Oui, même si le death reste essentiellement cantonné à des thématiques horrifiques ou sociétales, il a su aussi entretenir un rapport très proche à la mythologie. Quelques noms me reviennent en tête, notamment ceux de deux groupes français, vétérans de la scène toujours actifs aujourd'hui, Kronos et Olympus. Le premier, originaire des Vosges où il fut fondé en 1994, possède quatre albums à son actif et se reforma en 2023 après une séparation de plusieurs années. Le groupe s'est beaucoup inspiré de la mythologie grecque dans les paroles de ses chansons en s'appuyant sur l'aspect gore. D'ailleurs, le nom Kronos est directement dérivé du personnage mythologique de la même appellation qui fut roi des Titans de la première génération et se distingua entre autres pour avoir dévoré tous ces enfants nouveaux-nés (il existe à ce sujet une toile célèbre de Rubens, d'une extrême violence). Musicalement, le groupe vosgien se situe dans la branche plutôt old school du brutal death metal.


Olympus, le bien nommé, a poussé l'expérience jusqu'à intituler son premier album Gods. Le groupe nantais fondé en 2020 par des membres et ex-membres de Circles ov Hell est même allé plus loin afin de montrer sa passion pour la mythologie en intitulant tous ses morceaux par des noms de dieux grecs et en adoptant une typographie à la grecque pour son propre nom (allez jeter un œil à la pochette de leur album). Le quatuor pratique un très solide blackened death bien structuré et qui fait son petit effet en conditions live, comme vous allez pouvoir le constater sur la captation ci-dessous.


Partons pour l'Angleterre avec Imperium, un groupe qui s'est taillé une solide réputation dans le milieu de l'underground depuis sa fondation en 2010 à Bristol. Pratiquant un death metal technique qui a gagné en maturité et en prestance sur trois albums très riches, le combo, qui possède dans ses rangs des musiciens d'expérience tels que Janne Jaloma (Dark Funeral) et Zach Jeter (Nile), n'a jamais dévié de sa trajectoire malgré des remous au sein du lineup et n'a jamais renié son attirance pour les lieux et les personnages de la mythologie grecque et romaine. Sur leur second opus, Titanomachy, paru en mai 2016 chez Ultimate Massacre Productions, la formation nous entraînait dans les abysses les plus profondes, à l'image de ces héros grecs descendant aux Enfers dont les légendes étaient racontées par Homère ou Virgile dans des œuvres passées à la postérité. Cet album est probablement le plus abouti des trois.


Dans un registre nettement plus brutal, Erebo possédait également de très bonnes connaissances dans le domaine de la mythologie grecque même si ces brésiliens n'ont pu dévoiler leurs capacités que sur le seul et unique ouvrage qu'ils ont fait paraître à ce jour, une démo intitulée Oath in the Estige's Margin datée de 2005. Le trio fondé en 2003, qui se sépara quatre ans plus tard avant de renaître en 2012, déployait une remarquable ingéniosité directement inspirée de la vieille école du death brutal et technique sur quatre morceaux centrés sur la mort, le chaos et la destruction en lien avec la mythologie, le tout dans un style rugueux et brut de décoffrage qui avait de quoi détonner. Une vraie curiosité.


Finissons en beauté avec un groupe qui s'intéressait sans doute plus à Lovecraft (à ses débuts surtout) et à l'occultisme qu'à la mythologie grecque ou romaine (à moins que), j'ai nommé Sinister. La légendaire formation néerlandaise née en 1988 a sorti un paquet de bons albums, cela ne fait aucun doute, surtout dans les années 90. Si Diabolical Summoning ou Hate demeurent pour beaucoup des références, n'oublions surtout pas qu'il y eut avant ces deux œuvres majeures Cross the Styx, premier chapitre paru en 1992. Le death terrifiant et majestueusement sombre du groupe européen se manifestait dans toute son angoissante envergure, soutenu par un Mike van Mastrigt impérial au chant. Sur le single du même nom, le dernier paragraphe se referme ainsi : Souls drowned in the blood of Oblivion / dragged in the stream of the inflicted access / zymotic slime of substracted skin / into damnation tortured infinity. La mythologie des Enfers vient ici en soutien d'une profonde réflexion sur la mort et sur la fin de toute chose, par un message sans ambiguïté qui nous fait bien comprendre qu'au-delà du Styx, il n'y a pour ainsi dire que le néant.

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