vendredi 14 mars 2025

INTO THE CRYPT : TARDUS MORTEM - ENGULFED IN PESTILENT DARKNESS


"L'homme ne sait à quel rang se mettre, il est visiblement égaré et tombé de son vrai lieu sans le pouvoir retrouver. Il le cherche partout avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impénétrables", griffonnait Blaise Pascal dans ses Pensées. Est-ce là notre lot à tous que d'être condamnés à errer dans les ténèbres sans véritable perspective d'avenir ? L'auvergnat n'était pas qu'un mathématicien et un inventeur de génie en avance sur son temps (il composa son premier ouvrage à onze ans et conçut la première machine à calculer à l'âge de dix-neuf ans), il se consacra aussi à la réflexion philosophique de par sa remarquable capacité à explorer les fondements de l'âme humaine. Il n'eut d'ailleurs sans doute pas mieux résumé la condition de l'homme par ces deux phrases précitées car, après tout, ne sommes-nous pas, dès notre venue au monde, destinés à nous perdre dans les méandres du temps, marchant au bord d'un précipice dans lequel à tout moment nous pouvons basculer, avec comme seule et unique fin ces insaisissables ténèbres que Pascal évoque ? Vaste et intarissable sujet aux contours flous qui anima longtemps les discussions philosophiques et dont nous ne cernons toujours pas la structure labyrinthique aujourd'hui. Ainsi, c'est par un angle musical que des artistes ont tenté d'en dessiner le plan. De la musique classique au metal extrême, une démonstration par le son s'est opérée dans une tentative audacieuse de percer les ténèbres. Les premières constatations sont alors apparues comme le nez au milieu de la figure. Il n'y aurait, au bout du compte, rien d'autre dans les ténèbres que les ténèbres. Simple et lapidaire, bien que les esprits les plus imaginatifs iraient jusqu'à émettre l'hypothèse de l'existence de dimensions obscures au sein desquelles ne régnerait que l'infiniment rien agrémenté de relents pestilentiels, à supposer que les ténèbres aient une odeur.

Bien des groupes de death metal, que nous n'aurions pas le temps de citer, se sont pleinement investis dans ce sujet et certains, ma foi, s'en sont sortis mieux que d'autres. Ce fut le cas, notamment, de Tardus Mortem, obscure formation danoise née en 2015 dont le premier album, Engulfed in Pestilent Darkness, paru en 2019, constituait (et constitue encore six ans plus tard) une pièce de choix dans l'étude des tourments de l'âme. D'un point de vue purement musical, l'opus s'orientait de façon résolu vers un death metal typiquement scandinave dans sa charpente, sous la forme d'étranges symphonies distordues et dissonantes conçues comme des hymnes d'une noirceur absolue que l'on pouvait, sans trop se tromper, comparer à des cathédrales monolithiques, en des termes imagés. Atmosphérique par intervalles réguliers, mais également lourd comme une chape de plomb et terriblement oppressant, le death pratiqué par Tardus Mortem sur cet album s'attachait également à entretenir des liens viscéraux avec le doom et le black metal sur huit longs morceaux certes complexes dans leur structure générale mais, dont le message était on ne peut plus clair : il n'y a pas d'espoir dans le néant. Aussi impressionnant que terrifiant, le chant guttural venait appuyer cette irrévocable sentence gravée dans la roche. Sans oublier, ces mots que le ressac brutal nous ramenait, comme le mot dark, par exemple (obscurité en français), sous ses multiples déclinaisons (darkness, darkened...). Cette perpétuelle obscurité, ces dimensions inconnues et cet infiniment rien que nous évoquions, Tardus Mortem semblait avoir cette étonnante capacité de les toucher du doigt sur ce disque à l'ambiance brumeuse et cafardeuse. Il en est même angoissant de constater qu'aucune porte de sortie n'était offerte ici, aucune échappatoire, aucune chance de revoir ne serait-ce qu'un zeste de lumière. Tout s'éteignait, tout s'arrêtait de vivre, toute volonté de résistance s'évaporait dans les dédales sombres d'un monde à l'agonie, dans un râle ultime, celui d'un homme en souffrance que l'on entendait hurler de toute son âme au début et à la fin de l'album. À l'ascension, Tardus Mortem opposait le déclin. À l'existence, la non-existence. À l'être, le néant. Rarement vous aurez pu entendre dans votre vie un album de death metal aussi absolu et intransigeant dans sa conception de la mort.

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