Les groupes de death metal n'étaient pas légions dans les pays baltes au cours des années 90, c'est le moins qu'on puisse dire, même si une petite scène non dénuée d'intérêt se développa en Lettonie, en particulier à Riga, avec Huskvarn, par exemple, un des précurseurs (revenu de l'au-delà l'année dernière après neuf ans d'inactivité), Sanctimony et Neglected Fields (ces derniers étant plutôt ancrés dans un death progressif assez technique). Parmi ces quelques formations, on retrouvait Dies Irae, sextet formé en 1992 sur les cendres de Giljotina et qui avait la particularité de posséder dans ses rangs une femme dont le chant clair au rendu opératique servait de backing vocals. Ne vous méprenez pas, Dies Irae n'avait rien d'un groupe de metal symphonique. Il était un vrai groupe de death metal qui ne caressait pas dans le sens du poil, si vous voyez ce que je veux dire. On peut même aller jusqu'à affirmer qu'il était assez brutal dans sa manière de concevoir le death metal. Cependant, cette brutalité pouvait être contenue dans une sorte de moule à l'intérieur duquel le groupe de Riga était capable de développer une créativité tous azimuts, pas si éloignée d'une sommité telle que Death (il faut dire que le seul album de Dies Irae est paru la même année que Symbolic, un des ouvrages le plus techniques et progressifs de la célèbre formation d'Altamonte Springs).
C'est donc en 1995 que paraît chez le très confidentiel label letton Metal Attack Records cette œuvre étrange qu'est Nine Pages from the Moonstone Book (un hommage au roman La Pierre de lune de Wilkie Collins ?). Étrange car, tout sur cet album semblait mis en œuvre pour dérouter l'auditeur. De prime abord pourtant, l'aspect rugueux de l'opus n'a rien de déroutant. Le chant guttural peut s'avérer assez terrifiant dans la majorité des sections, soutenu par des guitares agissant comme des cisailles, dissonantes par intermittence, et qu'accompagne une batterie de métronome. L'ensemble peut éventuellement évoquer la scène radicale du death scandinave de la fin des années 80 à laquelle s'ajouterait peut-être diverses influences émanant de la scène proto-death américaine, en particulier celle de Floride, influences que l'on retrouve particulièrement sur un morceau comme Make my Grave Clean from the Cross, que l'on peut aisément considérer comme étant le plus brutal de cet album.
Mais, et c'est là que réside la surprise du chef, Dies Irae ne manque pas de montrer qu'il a plusieurs cordes à son arc. Ainsi, dès le premier morceau, Amberclouds Inigmations, le groupe nous embarque dans une expérience pouvant presque tenir lieu d'une certaine transcendance en multipliant les éléments techniques. De surprenantes harmonies discontinues que viennent volontairement casser des changements de rythme s'ajoutent à la structure tandis que la voix claire du chant féminin secondaire se fait entendre pour la première fois. Cette volonté d'enjoliver les compositions de manière assez sophistiquée (notamment dans les solos de guitare) se confirme ensuite sur Word Create Hate (1236 "Battle of the Sun") et Evolsactuo (The Pagan's Chapter). Au fil de l'écoute, les structures se complexifient, deviennent labyrinthiques, parfois même plus expérimentales, avant de s'agencer presque naturellement comme si le groupe nous invitait à résoudre un puzzle. Le death pratiqué par Dies Irae prend un tour résolument plus progressif sur l'intense et obscur Drowned in the Cobweb avant que le vertigineux Nectar of Black Flowers ne clôture le chapitre en atteignant un sommet de technicité savamment élaboré que vient agrémenter un chant féminin aux allures de soprano.
L'année qui suit la sortie de cet opus, Dies Irae disparaît à jamais dans les limbes, nous laissant comme seul témoignage ce remarquable objet qui bénéficia en 2023 d'une réédition avec deux morceaux supplémentaires, sous l'impulsion de deux des membres du groupe. C'est là tout ce qu'il reste à ce jour du travail d'orfèvre produit par cette étonnante et énigmatique formation.
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